Vive le doute !

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Les fracassants et autres infaillibles ont la cote. Ils tranchent, se prétendent seuls responsables des «vraies affaires», rejettent en bloc le passé, l'analyse, l'expérience et surtout le doute. Douter serait un signe de fragilité, de peur. Eux, d'instinct, savent, décident, imposent. À côté d'eux, le César qui résumait sa conquête des Gaules en douze lettres («Veni, vidi, vici») ne serait qu'un bègue hésitant. Et pourtant!

Quand Jacques B. Gélinas ose demander Et si le Tiers Monde s’autofinançait, il met en doute ce qu’on raconte. Ce n’est pas vrai, et Lucie Pagé dirait la même chose, à la lecture de Notre Afrique, que l’Afrique n’a qu’elle à blâmer pour ses malheurs. Si les pays riches cessent de subventionner leur production agricole et d’encourager la dépendance, l’Afrique ira mieux. Douter du discours officiel devient un devoir.

Quand un créationnisme suranné affirme que l’évolution n’est qu’un mythe concocté par des incroyants, il est temps, selon le conseil de Cyrille Barrette, de refermer la Genèse et de préférer le doute aux certitudes trompeuses. Non, il n’y a pas, comme moteur de l’évolution, un intelligent design. Oui, il y a mystère, mais un Mystère sans magie. Science, doute et vérité: notre seul espoir pour l’avenir.

Autre catégorie d’individus allergiques au doute, les experts en sciences dites exactes. Ils ont donc poussé les hauts cris, et les camionneurs avec eux, quand le gouvernement des Pays-Bas a adopté une loi qui «rend illégal tout dépassement, par les camions, sur plus de 70% des grands-routes du pays», rapporte Joseph Heath dans La Société efficiente. Cela était fou, contraire aux besoins de l’industrie, au Just in Time, bref idiot. À peine quelques semaines après l’entrée en vigueur de la loi, les agressifs défenseurs de l’évidence ont pourtant commencé à douter: «On commanda une étude. La capacité moyenne des routes concernées avait bel et bien augmenté de 30%. En outre, la vitesse moyenne s’était accrue dans les deux voies. Même les camionneurs furent forcés d’admettre que la nouvelle réglementation était une amélioration». Si personne n’avait douté, les automobilistes continueraient à redouter les camions.

Le doute serait aussi de mise dans le débat qui agite la Capitale au sujet de la fluoration. Peu d’études, que je sache, valent celle qui s’intitule sans ambages La Fluoration: Autopsie d’une erreur scientifique et qu’ont menée trois sommités (Pierre-Jean Morin, John Remington Graham, Gilles Parent). Le doute est d’autant plus défendable que les tubes de pâte dentifrice invitent à surveiller les enfants pendant le brossage des dents…

Douter, ce n’est pas seulement se montrer plus nuancé que les ténors des «vraies affaires». C’est accepter d’être déroutés par d’imprévisibles romans. Le Liseur de Bernhard Schlink ne se ferme qu’une fois le lecteur renvoyé au doute prudent. Qui ne doute pas devant le titre aventureux de Luis Sepúlveda, Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler? Et qui, lecture faite, ne se félicite pas de s’être laissé attirer par le doute?

Le doute, en plus de susciter les remises en question et d’engendrer de jouissives intrigues, tue moins souvent que les certitudes fracassantes. Pour s’en convaincre, il suffit de lire une ou deux manchettes.

Bibliographie :
Le Liseur, Bernhard Schlink, Folio, 256 p., 12,95$
Notre Afrique, Lucie Pagé, Libre Expression, 256 p., 24,95$
La Fluoration : Autopsie d’une erreur scientifique, Pierre-Jean Morin, John Remington Graham, Gilles Parent, Éditions Berger, 315 p., 39,95$
Et si le Tiers Monde s’autofinançait, Jacques B. Gélinas, Écosociété, 248 p., 22$
Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler, Luis Sepúlveda, Seuil jeunesse/ Métailié, coll. Suites, 110 p., 59,95$
Mystère sans magie. Science, doute et vérité: notre seul espoir pour l’avenir, Cyrille Barette, Éditions MultiMondes, 252 p., 29,95$
La Société efficiente, Joseph Heath, PUM, coll. Champ libre, 408 p., 24,95$
L’Homme en arme, Horacio Castellanos Moya, Les Allusifs, 128 p., 16,95$

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