Un p’tit tour et puis s’en va?

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Son 400e anniversaire aura valu à Québec ce que nos grands-parents appelaient «de la belle visite». Tout s'est passé, cependant, comme si on avait voulu célébrer Noël en invitant les plus séduisantes vedettes, mais en oubliant le Père Noël... Remercions les visiteurs, mais ne leur demandons pas ce qu'il fallait célébrer. La «visite» repart, la mémoire demeure. Ou devrait demeurer.

Ils sont nombreux et tonitruants, ceux qui réduisent à rien l’importance des symboles et de la culture. Eux, crient-ils dans leur français non pas châtié, mais battu (Vigneault), ils sont réalistes, pragmatiques, concrets, fonctionnels, pour tout dire modernes. S’ils consentent à laisser respirer les flyés, les pelleteux de nuages, les sculpteurs de concepts, c’est à la condition que leurs stériles supputations ne quittent pas le secret de leur sous-sol. S’il est question de fêtes, ces réalistes ne s’informent pas du pourquoi, mais du lieu des festivités. Trop occupés pour s’empêtrer dans les nuances, ils traiteront de raciste quiconque réclamera la présence du Père Noël au pied de l’arbre. Puisque fête il y a et que beaucoup veulent fêter, preuve est faite à leurs yeux que seule importe l’ampleur de la foule. Le motif de la fête demeure obscur et le Château Frontenac semble un contemporain de Champlain? Quelle importance?

N’en déplaise aux myopes et aux amnésiques, la naissance de l’Amérique française fut un événement immense. En bien comme en mal. En inventaire de la planète comme en menace pour les Autochtones. La mesure d’un continent fait assister à la gestation et à l’accouchement d’un monde nouveau. Poussés vers le sol américain par diverses voracités, depuis la conquête des âmes jusqu’à celle des épices et des pelleteries, les Européens corrigent leurs cartes et précisent leurs prétentions en fonction des rencontres, du climat, des fluctuations démographiques. Histoire et géographie se racontent dans cet éloquent album. Quatre siècles attendent notre appropriation.

Histoire de la littérature québécoise substitue le livre à la géographie et à l’histoire, mais propose à son tour l’appropriation des mêmes quatre siècles. De Cartier à Jacques Poulin, de Champlain à Fernand Dumont, de Laure Conan à Sergio Kokis, elles sont nombreuses, les plumes qui, sans fermer le Québec aux vents du large ni aux invités, disent les raisons de la fête.

S’il existait encore un Radio-Canada soucieux de culture, le théâtre aussi aurait étoffé le contenu du 400e. Il aurait suffi que l’auguste Société suspende le temps d’un soupir ses génuflexions devant les cotes d’écoute et présente à l’écran cette merveille de mémoire et d’enracinement qu’est la pièce d’André Ricard, Gens sans aveu. Quatre siècles auraient pris chair.

Lubies de spécialistes? Toquades de flyés? Ni les unes ni les autres. Vie et mémoire sont une même chose. Étendre les branches de l’arbre exige qu’on soigne l’enracinement. Les photographies de Québec sous les 400 pas prouvent que les jeunes générations savent lire le Québec d’hier comme le lieu d’un amour moderne. Des esprits aussi libres et tranchants que ceux d’Hélène Pedneault et Michel Garneau voient dans Les croix de chemin non un prétexte à ferveur religieuse, mais une invitation à ne pas laisser l’épidermique dissoudre l’histoire et ses dimensions culturelles. Les visiteurs ont honoré le 400e de leur présence; au Québec d’assurer la sienne dans la mémoire.

Bibliographie :
La mesure d’un continent, Raymonde Litalien, Jean-François Palomino et Denis Vaugeois, 300 p.,89$
Histoire de la littérature québécoise, Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge, Boréal, 700 p., 39,95$
Gens sans aveu, André Ricard, L’instant même, 212 p., 25$
Québec sous les 400 pas, Manon Labrie et Denis Samson, Trois-Pistoles, 148 p., 49,95$
Les croix de chemin, Collectif (textes) et Vanessa Oliver-Lloyd (photographies), Du passage, 222 p., 39,95$

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