En 1976, André Hamel, un étudiant universitaire ayant perdu la vue, est prêt à remuer ciel et terre pour terminer ses études. Il se rend à New York visiter Recording for the Blind — devenu aujourd’hui Learning Ally — puis fonde, à Montréal, la Magnétothèque qui devient notre premier producteur de livres audio adaptés pour les personnes non voyantes. En quelque quarante-trois ans, plus de 20 000 livres audio adaptés ont été produits.

En 2017, constatant que les livres audio sont en vogue auprès du grand public, Vues et Voix (anciennement la Magnétothèque) décide de saisir l’opportunité qu’offre ce marché en plein essor en mettant son expertise de longue date au service des éditeurs québécois pour ensuite orchestrer la mise en marché de son premier catalogue de livres audio résultant de leur collaboration. Cet automne, à la faveur de l’élan provoqué dans le milieu du livre par Vues et Voix, ce catalogue fait d’ailleurs son apparition sur leslibraires.ca, juste à temps pour le Salon du livre de Montréal (20 au 25 novembre), vous permettant de choisir parmi 150 titres.

C’est presque une vérité de La Palice que d’affirmer que le livre audio nous permet de vaquer à autre chose pendant qu’on s’adonne à son écoute. Mais l’éloge que font certains de ce format « pratique » va bien plus loin… J’ai même croisé sur le Web la blogueuse Devon Marisa Zuegel qui clame que le format audio permet de bonifier toutes les activités routinières du quotidien. En fait, elle dit qu’elle en est même venue à adorer les travaux ménagers parce que chaque occasion de vider le lave-vaisselle ou de presser des chemisiers en est une où elle peut, par exemple, apprendre un tas de trucs en écoutant un livre. Il en va de même pour un long parcours quotidien de bus ou de métro (si vous consacrez 10 heures à vos déplacements par semaine, combien de livres pourriez-vous écouter par année?) : on peut tirer un maximum de bénéfices de chaque plage de temps imposée qui a le potentiel d’être dénuée de stimulation. Vue ainsi, la consommation de livres audio peut constituer un supplément à la lecture traditionnelle, sans prétendre s’y substituer, un peu comme les suppléments alimentaires pour les repas. En effet : et si les différents formats d’une œuvre n’étaient qu’autant de chances démultipliées d’atteindre un plus grand auditoire?

Si l’ode à l’audio va jusqu’à chanter sa capacité de guérir l’insomnie lorsqu’on se met au lit avec ce mode de lecture, l’un des arguments les plus intéressants réside du côté de la compréhension des œuvres, notamment celles plus complexes à attaquer. N’en déplaise à ceux qui considèrent leur écoute comme une activité passive ou paresseuse, à ranger parmi les plaisirs coupables. Dans son dossier Why Audiobooks Are Back in a Big Way, Thanks to the Storyteller dans les pages du Globe and Mail en juillet dernier, Ian Brown souligne que ce qu’il y a de plus intéressant à propos de Milkman d’Anna Burn (le Man Booker Prize 2018), c’est qu’il s’agit de la chronique magnifiquement détaillée des réflexions intérieures et claustrophobes, instant par instant, d’un jeune adulte de 18 ans, sur 352 pages. Et ce qu’il y a de moins intéressant à propos de cette œuvre? Qu’il s’agit justement de la chronique magnifiquement détaillée des réflexions intérieures et claustrophobes, instant par instant, d’un jeune adulte de 18 ans, sur 352 pages. Une lecture épuisante… Brown avoue n’avoir pu lire plus de trente pages à la fois. Mais, à son avis, le livre audio de Milkman s’avère être un charme à écouter. En l’absence de caractères que l’œil peut enregistrer grâce au cortex visuel tout en procédant à des associations de mots, la mémoire retient beaucoup moins de détails à l’écoute d’un texte, mais offre une prise immédiate sur le sens le plus profond de certains passages d’une œuvre. Brown rappelle d’ailleurs que l’on comprend mieux Shakespeare sur scène qu’en tournant des pages…

La qualité des interprètes contribue indiscutablement à la réussite de la transposition d’un livre dans un environnement sonore. Plusieurs attribuent à cette force d’interprétation une bonne partie du pouvoir du storytelling lui-même. Signe que ce marché lucratif est en pleine ascension chez nos voisins du Sud, on apprenait récemment qu’on a confié l’enregistrement de la narration du classique jeunesse Charlotte’s Web de E. B. White à l’actrice maintes fois oscarisée Meryl Streep, accompagnée d’une distribution de vingt autres acteurs chevronnés. Au Québec, Ève Landry lit Ouvrir son cœur, Chantal Fontaine S’aimer, malgré tout et Hélène Bourgeois-Leclerc La course des tuques. Bientôt, la question classique que les gens se poseront entre eux deviendra : « As-tu préféré le livre, le film… ou le livre audio? »

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