Quoique plutôt enclin à prendre les messies pour des gens ternes (j’emprunte la savoureuse formule à Nando Michaud), j’aurais préféré ne pas avoir à rappeler ici ces trois malheureux mots de Parizeau lors de la défaite référendaire de 1995. Seulement, voilà que l’écrivaine de Québec Gabrielle Gourdeau (Prix Robert-Cliche 1992 pour Maria Chapdelaine, le paradis retrouvé) les évoque en guise de caution intellectuelle à son argumentation fallacieuse en faveur de l’exclusion des écrivains métèques du corpus littéraire national. « Allez donc demander aux Chinois s’il s’intéresseraient à la pauvre enfance d’un petit Québécois de Saint-Henri au point de consacrer best-sellers ses romans autobiographiques avant même leur sortie en librairie, » nous invite-t-elle dans La répression tranquille, son virulent pamphlet adressé aux égoïstes baby-boomers. « Nos écrivains néo-québécois, note-t-elle ironiquement, on a intérêt à les aimer plusse que les écrivains d’ici, et leurs histoires d’enfance chinoise, d’odeur de café et de vaudou, gare à nous si nous les trouvons plates ! »
Certes, les champions de l’intelligentsia nationaleuse, avec leur discours de sempiternelles victimes, nous ont habitués à cette pratique du « deux poids, deux mesures » qui permet de condamner en bloc, souvent sans les avoir lues, les romans de ce bouffon de Mordecai Richler pour cause de racisme anti-québécois tout en célébrant la grandeur de Céline en dépit (ou peut-être en raison) de son anti-sémitisme manifeste. Les œuvres sont plus grandes que leurs auteurs, aime-t-on répéter. Et diantre, même Jacques Godbout a déjà écrit des bons livres (quoique ça fasse un bail…).
Ce crêpage de chignons un brin cartoonesque serait sans doute déploré par le romancier franco-ontarien Daniel Poliquin qui fustige lui aussi le nationalisme québécois – avec la même vigueur mais en adoptant une position diamétralement opposée à celle de Gourdeau -, dans Le roman colonial. Cet essai fera sans doute lui aussi couler beaucoup d’encre dans les prochaines semaines. Guerre de chapelle? Peut-être. Néanmoins, je ne peux m’empêcher de soupirer en songeant que non, décidément, on n’est pas encore sortis du bois…
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La répression tranquille, Gabrielle Gourdeau, Trois-Pistoles
Le roman colonial, Daniel Poliquin, Boréal