Préface ou non?

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Pourquoi des préfaces? Qu’y gagne le livre? Quel préfacier est lisible? Questions d’où émerge un fait: rares sont les amateurs de préfaces. Réticence naturelle: quand on achète un livre, on veut lire ce qu’on a acheté, passer au salon sans visiter la cave. D’ailleurs, les préfaces ne sont-elles pas artificielles, pompeuses, au mieux inutiles, au pire encombrantes?

Et pourtant! La préface peut se révéler caution utile, hommage mérité, tuyau dévoilant un auteur méconnu. Je n’aurais pas lu Oncle Anghel de Panaït Istrati et je me serais privé d’un merveilleux récit si la préface du grand Joseph Kessel n’avait retenu mon attention. J’aurais ignoré la dimension cosmique de Charles-Ferdinand Ramuz si Jean Malaurie n’avait pas préfacé La pensée remonte les fleuves. Pourquoi me fier à Jean Malaurie? Parce que, confrère en nordicité du capitaine Bernier, de Bernard Saladin d’Anglure et de Louis-Edmond Hamelin, il m’a ouvert aux réalités nordiques. Lire Malaurie importe au plus haut point au moment où le Canada découvre sa façade nordique et risque, à cause de l’obsession militariste de Harper, de n’y voir qu’un champ de manœuvre à partager avec les États-Unis. Directeur d’Études arctiques à l’École des Hautes études en sciences sociales (Paris), formateur de cadres supérieurs autochtones sibériens, Malaurie a prodigué (presque toujours en vain) de sages conseils aux gouvernants canadiens (Hummocks. Nord Groenland. Arctique central canadien). Quand ce géant préface Ramuz, j’ajuste mon jugement sur Ramuz. «La Pléiade», rarement hospitalière aux francophones étrangers, a quand même publié tout récemment, en deux tomes, les romans de cet écrivain suisse(numéros 517 et 518). Imprévisible fécondité d’une préface.

Tout près de nous, les préfaces que Jacques Languirand consent avec générosité méritent aussi cette lecture attentive, tant elles ajustent l’éloge aux mérites. Quand Languirand préface Le Christ païen de Tom Harpur, pas d’équivoque: «Cette vision (d’un christianisme cosmique) qu’il expose brièvement, je la partage entièrement.» Quand il préface Le Québec au fil de l’eau, ses lignes attristées situent Languirand à distance d’un bilan trop peu critique: «Ne nous y trompons pas: la mort rôde alentour. C’est là que j’en suis. À quoi servent les discours? C’est à ceux qui les entendent de répondre. Fraternellement.»

Attiédissement chez le fervent Languirand? Pas du tout. Quand, toujours sur l’environnement, il préface Manifestement vert, le ton redevient pressant: «La bonne nouvelle, c’est que nous sommes de plus en plus nombreux à prendre conscience de l’urgence d’agir et à passer aux actes. […] Ce livre, Manifestement vert, que vous avez entre les mains, nous prouve qu’il est possible d’intervenir.» Préfacier exemplaire, Languirand dose son endossement. À nous de bien le lire.

Certaines préfaces sont de moindre farine. Celle qu’adresse Michel Désautels à Montréal à l’encre de tes lieux ne renseigne personne. Dire «Oh, la belle idée!», c’est gentil, sans plus. Quand le sommelier François Chartier, dans Papilles et molécules, empile la préface de Juli Soler et Ferran Adria, celle du docteur ― en biochimie ― Richard Béliveau, de sirupeux remerciements et une longue présentation de sa personne, cela nourrit l’ego plus que la littérature. Oui aux préfaces éclairantes, gare à la mise en marché!

Bibliographie :
Oncle Anghel, Panaït Istrati, Folio,216 p., 12,25$ La pensée remonte les fleuves, Jean Malaurie, Plon, 358 p., 37,50$ Hummocks. Nord Groenland. Arctique central canadien (t. 1), Jean Malaurie, Pocket, 542 p., 67,95$ Le Christ païen, Tom Harpur, Boréal, 294 p., 27,95$ Le Québec au fil de l’eau, Mathieu Dupuis et Marie-José Auclair, Éditions de l’Homme, 236 p., 49,95$ Manifestement vert, François Tanguay et Jocelyn Desjardins, Trécarré, 240 p., 34,95$ Montréal à l’encre de tes lieux, Florence Meney et Luc Lavigne, Québec Amérique, 320 p., 29,95$ Papilles et molécules, François Chartier, La Presse, 216 p., 39,95$

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