Les vents du large

0
Publicité
Tout être humain a besoin de repères. Il suffisait autrefois de situer le nord, le sud, l'est et l'ouest et de rattacher les vents et les saisons à ces points cardinaux; la chasse, la pêche, la culture des champs s'en trouvaient éclairées et plus prévisibles. Aujourd'hui, les livres prennent la relève; sans eux, pas facile de décoder la Géorgie, la souveraineté canadienne dans le Nord, les résistances que rencontre le Bolivien Morales, la fébrilité d'un Sarkozy...

Mort récemment, Alexandre Soljenitsyne est connu pour sa dénonciation du goulag. Il l’est moins pour ses vues politiques. Dans Comment réaménager notre Russie?, il écrit qu’«il faut d’urgence proclamer haut et clair que les trois républiques baltes, les trois républiques de la Transcaucasie, les quatre d’Asie centrale, et également la Moldavie, si elle est plus attirée par la Roumanie, que ces onze républiques — oui! — sont destinées de façon absolue et irréversible à faire sécession». Pourquoi? Parce qu’«il faut choisir clair et net: entre l’Empire, qui est avant tout notre propre perte, et le salut spirituel et corporel de notre peuple». Il ne recommande pas de préférer l’empire USA à l’URSS.

Moins connu malgré son Nobel de littérature (1965), Mikhaïl Cholokhov raconte en 1400 pages les douleurs des Cosaques dans Le don paisible. Eux aussi furent déchirés entre le tsarisme et le marxisme, entre Moscou et l’autonomie. De quoi ausculter le drame géorgien. En actualisant, on arrive à Édouard Chevardnadzé avec L’avenir s’écrit liberté. Ministre de Gorbatchev, puis président de son pays, l’homme laisse entendre que sa Géorgie, si elle pouvait choisir, ne s’intégrerait à aucun bloc belliqueux. Pour se dégager des Turcs, le pays s’aligna sur Moscou; pour éloigner Moscou, doit-il obéir à l’Otan?

La Bolivie, qui s’est enfin donné un président autochtone, subit elle aussi les gourmandises des conglomérats étrangers, canadiens compris. Dans L’aguayo, Andrée Laberge fait comprendre à quoi se heurte l’aspiration populaire à la dignité. Plus près (?) de nous, le Nord, perçu hier en fief calmement canadien, est devenu un enjeu international. Le réchauffement climatique transforme le décor et la fonte facilite la circulation de plusieurs pavillons. Faut-il, demande Dominique Forget, «perdre le Nord?» Dans son bouquin intitulé Perdre le Nord?, elle présente les enjeux politiques et environnementaux et rend (presque) intelligible le récent réveil canadien.

Dans ce contexte, il serait éclairant de rééditer enfin la biographie d’un navigateur québécois qui, lui, n’a pas attendu le XXIe siècle pour s’intéresser au Nord. Intitulée Le capitaine J.-E. Bernier et la souveraineté du Canada dans l’Arctique (Yolande Dorion-Robitaille, Affaires indiennes et du Nord, 1978), la brochure montre ce sur quoi pourrait aujourd’hui s’appuyer la revendication canadienne au sujet de l’Arctique. «Fait symbolique, écrit l’auteure, l’année même de sa mort, 1934, le capitaine Bernier participait, à titre officiel, aux fêtes du 4e centenaire du débarquement de Cartier, à Gaspé». À quand la mise à jour de ce portrait?

En laissant circuler ces vents du large, on constate que le style populacier de tel ou tel élu d’ici ne nous est pas exclusif. Ainsi, le président Sarkozy se veut direct, brutal, familier jusqu’au tutoiement. On lira donc pour application québécoise le sublime pamphlet de Patrick Rambaud, Chronique du règne de Nicolas Ier. Écrit au vitriol, brillamment méchant, internationalement applicable.

Bibliographie :
Comment réaménager notre Russie, Alexandre Soljenitsyne, Fayard, 120 p., 20,95$
Le don paisible, Mikhaïl Cholokhov, Presses de la Cité, coll. Omnibus, 1408 p., 52,95$
L’avenir s’écrit liberté, Édouard Chevardnadzé, Éditions Odile Jacob, 368 p., 43,50$
L’aguayo, Andrée Laberge ,La courte échelle, 208 p., 21,95$
Perdre le Nord?, Dominique Forget, Boréal/Névé, 264 p., 27,50$
Chronique du règne de Nicolas Ier, Patrick Rambaud, Grasset, 170 p., 24,95$

Publicité