Les cornes du veau d’or

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Rien comme un lendemain d’élection pour voir le veau d’or étaler ses ambitions. À peine les petites croix des bulletins de vote avaient-elles révélé ce que les citoyens désirent que le veau d’or dictait SON budget au nouveau gouvernement. En inclinant ses cornes jusqu’à l’horizontale et en râpant le sol du sabot, il s’affiche en taureau irascible. Oui, il fera partie du 1% des possédants tyranniques. Pourquoi cette colère? Parce que les citoyens s’indignent de la concentration de la richesse. Cette indignation qu’ils ont exprimée au printemps 2012, le veau d’or n’en veut plus. Puisqu’on le provoque, il fonce, il menace, il intimide. Et, comme la peur est une conseillère écoutée, rares sont les braves qui rappelleront au veau d’or que le droit de vote n’a pas encore été aboli... Le budget s’en est ressenti.

Oui, le Québec fait face au veau d’or. Ce demi-pays ne soupçonne pas encore que son ruminant local est le cousin de celui qui pressure la Grèce et l’Espagne et qui gouverne l’Italie par banquier interposé, mais il vient d’entendre un mugissement inquiétant : le veau d’or exige de la société québécoise un culte encore plus exorbitant. Au lieu de tourmenter les pauvres intérêts miniers, qu’on surtaxe la santé! Au lieu de contraindre les conglomérats à payer leurs voies ferrées et à décontaminer les sites vidés de leurs richesses, qu’on rationne l’accès à l’éducation supérieure! Et, pour calmer les frileuses agences de notation, qu’on accorde un congé fiscal aux projets de 300 millions $ malgré les inquiétudes au sujet des dépassements de coûts! Les prédateurs tiennent à gagner encore un rang dans la chaîne alimentaire.

Heureusement, le livre est là pour contredire le veau d’or. Le physicien Normand Mousseau (La révolution des gaz de schiste, MultiMondes, 2010) cite la Norvège en exemple : « Grâce à des mesures qui permettent à l’État de récupérer plus de 75% des revenus pétroliers et à l’investissement de ceux-ci dans des placements à long terme, les hydrocarbures continueront de soutenir encore longtemps les généreux programmes sociaux qui profitent à tous les Norvégiens ». Au cas où le veau d’or vanterait les exploitants des ressources naturelles, Mousseau revient à la charge dans son plus récent bilan : « le modèle proposé par les grandes institutions mondiales évacue complètement les questions de propriété, de contrôle de la production, de responsabilité à long terme de l’industrie à l’endroit des impacts environnementaux et les limites générales du modèle économique dominant » (Le défi des ressources minières, MultiMondes, 2012).

Plus démocrates que le veau d’or, les écrivains ne canonisent pourtant pas tel ou tel modèle. Dans son immense premier roman, Dalibor Frioux (Brut, Seuil, 2011) demande des comptes au modèle norvégien lui-même. « Nous ne pouvons pas, dit Inger, un de ses personnages, nous ériger encore une fois en modèle pour l’humanité. Notre situation est très particulière ». Car ce cher Inger estime que la Norvège, avec ses 4,5 millions d’habitants, bombe trop le torse avec ses prix Nobel, son rapport Brundtland, son développement durable, son fonds souverain et quoi encore? Que dirait Inger si, de passage au Québec, il comparait le modèle norvégien à notre agenouillement devant le veau d’or? Peut-être penserait-il que, malgré tout, l’originalité vaut mieux que l’à-plat-ventrisme.

P.-S. Si quelqu’un ignorait l’histoire du veau d’or, qu’il s’adresse à l’excellent spécialiste de la Bible qu’est le maire de Saguenay.

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