Le durable mépris des autres

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«Non, non, non, je ne suis pas raciste! D'ailleurs, notre Histoire démontre que nous ne sommes pas comme les Français, les États-Uniens, les Anglais qui, eux [...]» Malheureusement, dès qu'on lit un peu, on découvre que nos décors aussi ont vu déferler l'esclavage, la ségrégation, le racisme.

L’esclavage, si impensable et répugnant qu’il soit, a enlaidi durablement les cultures qui nous sont proches. Dans Tonnerre noir (VLB éditeur), Arna Bontemps raconte la révolte noyée dans le sang d’un millier d’esclaves noirs de la Virginie. Sadisme, torture, sévices sexuels, tout y est. Tout récemment, Lawrence Hill signait le dur et magnifique Aminata (Pleine lune). Il y retrace la patiente bataille menée par une Noire pour stopper la traite des esclaves. Le livre loge si nettement la ségrégation et le racisme dans notre réalité canadienne que nous ne pouvons plus considérer ces legs honteux comme exotiques. Oui, les provinces canadiennes ont entrouvert leurs frontières aux esclaves en fuite, mais elles savaient aussi leur rendre la vie atroce. Si, malgré tout, quelqu’un s’entêtait à absoudre notre Québec de tout recours à l’esclavage, mieux vaudrait pour cet aveugle ignorer l’existence du Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français (Hurtubise) patiemment rédigé par Marcel Trudel. La seule équité dont il est question en ces pages, c’est que les élites québécoises, religieuses ou politiques, s’accommodaient aussi volontiers d’esclaves noirs que d’esclaves autochtones.

Le maître livre de la lutte contre l’esclavage demeure pourtant, à mes yeux, le terrible et éblouissant roman de Russell Banks, Pourfendeur de nuages (Actes sud/Leméac). Ce sont 800 pages nerveuses, brutales, lyriques, lourdes des exigences d’une foi primaire, mais généreuse. Les esclaves y sont soutenus, guidés, littéralement portés d’étape en étape jusqu’au bon côté de la frontière canadienne, là où, pourtant, les attend l’univers décrit par Hill. La Bible, écartelée par des lectures débridées, laboure les consciences et incite à toutes les démesures.

Récemment ressuscité par la collection Les livres qui ont changé le monde, un texte courageux porte la griffe de Condorcet: Réflexions sur l’esclavage des Nègres (Le Monde/Flammarion). Au moment où Condorcet rédige son argumentation de scientifique contre la traite des esclaves, la France s’approche des tourments de la Révolution. Riches, nobles et clercs défendent leurs privilèges. L’idée de se priver des revenus massifs d’un commerce déshonorant ne plaît ni à Bordeaux ni à La Rochelle. Condorcet, de comportement douteux à l’occasion, montre ici son meilleur visage.

Le racisme, petit cousin de l’esclavage, fait aussi partie de notre Histoire. Il est viscéral, hypocrite, pénétrant comme une humidité malsaine. Dès le premier tome de son Histoire du Manitoba français (Du blé), Jacqueline Blay rend tangible le racisme des Blancs de l’Est qui a empêché Louis Riel de donner à son peuple un pays tolérant et respectueux des langues et des religions. Une documentation rajeunie, vivante, inégalée. Ce racisme, Lawrence Hill le retrouve cent ans après Riel. Quinze ans avant Aminata, il écrivait De grandes choses (Du blé), un roman humain, brillant, audacieux dans lequel un jeune journaliste, noir de peau et baptisé Mahatma Grafton, affronte les préjugés d’un Winnipeg récent et ceux d’un milieu journalistique mesquin et malhonnête.

Se culpabiliser? Peut-être pas, mais vérifier ses placards.

P.-S. Mon dernier billet attribuait bêtement les «Rougon-Marquart» à Balzac plutôt qu’à Zola. Je demande à mon ami Émile de me pardonner et à un autre ami, Sigmund Freud, d’expliquer mon lapsus.

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