Le combat pour la diversité

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Heureusement pour les lectrices et les lecteurs, l'avenir des librairies indépendantes passe par la diversité. Diversité des titres, des angles, des présentations. Tant qu'elles occupent ce terrain et jouent à fond cette carte, les librairies indépendantes devancent la concurrence. Il s'agit, cependant, de ne pas réduire la diversité culturelle à un contenu étriqué ou frileux. Le nombre de titres importe, certes, mais il importe aussi que s'expriment des sensibilités différentes et que parlent des vitrines sur mesures. Ainsi comprise et déployée, la diversité culturelle sera le fief des librairies indépendantes.

Dans la concurrence que les librairies indépendantes doivent affronter, le nombre de titres disponibles constitue un atout de premier ordre. Comment le vrai public lecteur serait-il comblé par l’écrémage pratiqué par les grandes surfaces et les présentoirs miteux des marchés d’alimentation et des stands de gares? Comment une conscience enracinée chez elle et ouverte sur le monde pourrait-elle se satisfaire d’un butin de 200 titres ou moins encore ? Bouquiner n’a de sens et ne donne du plaisir que si l’œil et la main peuvent se poser sur l’inattendu et le déroutant, le flambant neuf et le vieux remodelé par une nouvelle édition, les quatrièmes de couverture évocateurs et les formats hors formats. Bouquiner, ce n’est pas un geste corseté comme un plein de voiture ou l’achat d’un ticket de bus. Le bouquineur veut du champ, un maximum de choix, de liberté, le droit de changer d’idée, la possibilité de comparer les auteurs familiers avec l’inconnu du jour et celle de revenir aux anciennes amours. Il y a méprise et mépris à placer le bouquineur devant un trop succinct menu du jour ou, pour dire les choses autrement, devant la courte liste des best-sellers, alors qu’il veut l’aventure à la carte, les découvertes et les agencements inédits.

Tant qu’existeront les curieux et les vagabonds, les exploratrices et les alpinistes, la diversité des titres sera un atout. À tel point que les librairies feront œuvre socialement utile et financièrement rentable en poussant la diversité des titres aussi loin que possible et en convainquant les pouvoirs publics de ne pas confondre la librairie agréée et le commerce aux pseudopodes interchangeables.

Mais la diversité culturelle exige davantage. Elle s’épanouit lorsque le personnel d’une librairie joue pleinement son rôle d’interface entre le livre et le lecteur, quand le bouquineur trouve à qui confier ses préférences et ses rêves, lorsque disparaissent du plancher d’une librairie les vendeuses et les vendeurs et que la lectrice ou le lecteur est mis en contact avec des gens qui l’ont précédé dans le plaisir littéraire.

La diversité culturelle s’élargit encore lorsque les librairies profitent de leur indépendance pour proposer des vitrines originales, pour regrouper auteurs et titres autrement que selon les pressions des grossistes et des distributeurs, pour faire vivre, malgré les exigences commerciales, les centaines d’auteurs menacés d’inexistence par les coupes à blanc de la mode.

La diversité culturelle tient compte du rétroviseur, mais ne lui immole ni le présent ni l’éventuel. Une librairie indépendante favorise cette diversité si elle s’abouche avec ses semblables pour savoir en tout temps, en deux clics, si le livre demandé est disponible ailleurs et si elle joint, en deux clics, le lecteur ou la lectrice pour l’aviser de l’arrivée de ce livre. Vers 1910, raconte Fernande Roy dans un paragraphe gênant de son excellente Histoire de la librairie au Québec, la librairie Beauchemin s’engageait à «faire venir de Paris un livre qui lui manque dans un délai de trois semaines, ce que, à l’aube du XXIe siècle, les lecteurs québécois ne peuvent pas obtenir de leurs libraires…»

Entre la diversité culturelle et la librairie indépendante, la relation est aussi exigeante et belle que l’amour.

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