La mémoire d’un lieu

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Le cœur de la capitale mondiale de la poésie vibre au ralenti depuis le 12 juillet dernier. La librairie Clément Morin, véritable institution culturelle à Trois-Rivières, a accueilli ses derniers clients, a vidé ses rayons, a fermé ses portes. A tourné la page sur cinq décennies d’une riche histoire. Qu’une institution comme celle-ci ne soit pas préservée laisse un goût amer en bouche. Un trou béant au cœur d’une ville…

Au printemps, la propriétaire, Sylvie Morin, avait annoncé sa retraite. Elle cherchait une relève, ne l’a pas trouvée… Il y a eu des tentatives, notamment par les propriétaires du café Morgane, sis au deuxième étage de la librairie. Sans succès. Les risques financiers, le manque de relève, les questions liées au bail, la fragilité du milieu du livre : tout cela aura joué un rôle dans cette navrante fermeture.

Le 12 juillet 2014 aura donc été une triste journée. D’abord, pour la quarantaine d’employés – plusieurs y travaillaient depuis de nombreuses années. Puis, pour les nombreux fidèles qui fréquentaient ce commerce, le vénéraient. Enfin, pour tous les autres qui aimaient à distance ce grand du milieu.

Cette librairie était un lieu où culture et savoir se transmettaient entre les effluves de café. C’était un endroit humain. Dynamique, elle était bien implantée dans sa région, bien impliquée dans sa communauté, bien active sur le Web. L’établissement était souvent animé (lectures, lancements, activités), le concept, audacieux et constamment renouvelé. Clément Morin était nécessaire pour sa ville, pour sa collectivité. C’était un pilier. Tous les ingrédients y étaient : positionnement enviable, clientèle fidèle, offre variée et appréciée, concept novateur et efficace, service de qualité… Et pourtant, ce ne fut pas suffisant. Sa disparition n’en est que plus désagréable, plus invraisemblable. Voilà, à mon sens, un nouvel – et terrible – exemple qui démontre la fragilité de l’écosystème actuel et la nécessité d’appuis politiques et industriels pour le maintien d’un réseau diversifié de librairies.

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Clément Morin, c’était d’abord un homme, un entrepreneur. En 1962, au Cap-de-la-Madeleine, il donna son nom à un commerce axé sur la papeterie. Il s’entoura d’une dizaine d’employés. Près de dix ans plus tard, il ouvrit une deuxième succursale dans un centre commercial de Trois-Rivières.

Clément Morin était aussi un père. Son fils, Pierre, lui succéda en 1980, après des études en sciences politiques. Avec son paternel, Pierre Morin partageait un sens de l’entrepreneuriat de même qu’une réelle passion pour le livre. Il profita de l’effervescence du secteur pour développer son commerce. Le libraire créa des succursales à Shawinigan (entre 1986 et 2012) et au Cap-de-la-Madeleine (entre 1991 et 1998). En 1999, il présenta son nouveau projet, une librairie-café située au cœur de l’activité commerciale de la cité des forges. La librairie est grandiose, avec ses 11 000 pieds carrés, ses dizaines de milliers de livres et cette immense baie vitrée qui la nappe d’une luminosité inouïe. C’est par lui que naquit la première entreprise francophone d’Amérique à allier librairie et café. Un genre de grande surface, mais avec l’esprit d’une librairie de quartier. Une pure librairie indépendante, résolument moderne.

Pendant cinquante ans, l’histoire de Clément Morin a été ponctuée de formidables bonheurs. On ne pourrait cependant taire le tragique, notamment le décès prématuré en juillet 2003 de ce visionnaire formidable qu’a été Pierre Morin, qui, à 48 ans, a perdu sa bataille contre le cancer. Qui sait ce que serait devenue la librairie sous son impulsion…

Plusieurs clients sont en deuil, comme cette fidèle, Sophie Legault, qui écrivait ceci sur la page Facebook de la librairie : « Que de souvenirs… Je me rappelle aller chercher mes fournitures scolaires avec ma mère dans le temps qu’il n’y avait que le local à côté de la pharmacie aux Rivières. Je me rappelle le déménagement dans le local d’en face. Je me rappelle ma copine qui avait réussi à avoir une place à temps partiel à la succursale du Cap, c’était tellement plus “class” comme job étudiante que vendre du linge! Je me rappelle l’ouverture sur le boulevard et le dernier café que j’y ai pris… Je me rappelle y avoir amené ma fille pour la première fois dans l’immense section de livres pour enfants… Merci pour tous ces souvenirs. C’est un gros bout de Trois-Rivières qui s’éteint. »

Heureusement, de courageux libraires s’évertuent à faire perdurer cette magnifique tradition littéraire que détient la ville de Trois-Rivières. Fidèles de la librairie Clément Morin, je vous prie d’aller à la rencontre des libraires de l’Exèdre, de Paulines ou de Poirier. Vous y trouverez de véritables libraires qualifiés, prêts à vous accueillir, à vous tendre la main, à vous faire part de leurs découvertes. Prêts à perpétuer, chacun à sa façon, l’héritage de Clément Morin…

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