La compassion préventive

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Tristesse. Par milliers, des désespérés ont surchargé des épaves différées et se sont noyés. La guerre a forcé des foules à envahir l’Europe pour survivre. Dans des pays dévastés par des cataclysmes ou victimes de présomption pétrolière, la reconstruction promise lors des photographies attend encore. Lourd aux Palestiniens, le joug israélien perpétue l’humiliation. Et l’Iran reste frappé de sanctions pour avoir désiré, ô crime, l’équivalent d’un Gentilly québécois.

Si je me réjouis du sursaut face aux agonies étrangères, j’en crains le côté épidermique. Notre compassion doit beaucoup au terrible cliché d’un bambin noyé. Image bouleversante, comme celle de la fillette nue fuyant le napalm ou celle de l’homme en blanc devant le blindé de Tian’anmen. Tant mieux si l’image a forcé nos candidats politiques à suspendre un instant leurs promesses, mais demandons mieux qu’un cataplasme périssable. Accueillir les réfugiés est vital; ne pas bombarder leurs pays serait mieux. Quelles que soient les délicatesses de notre hospitalité, les errants auraient préféré demeurer chez eux si leur ciel avait été moins peuplé de bombardiers. En choisissant nos députés, avons-nous vérifié s’ils fréquentaient de trop près les marchands d’armes?

Car ceci me frappe : nous oublions notre participation aux guerres qui causent ces transhumances. Le Canada approuve d’avance les gestes d’Israël, y compris les pires. Le Canada décore ses aviateurs pour avoir, sans l’aval de l’ONU, bombardé la Libye, déstabilisé le nord de l’Afrique, gonflé la transhumance vouée au naufrage en Méditerranée. Le Canada, sous couvert trompeur de lutte contre l’État islamique, contribue à rendre inhabitables la Syrie et ses environs.

Dans un univers cassé en deux et opposant le 1% des marteaux au 99% des enclumes, nos silences nous apparentent aux marteaux. Pourquoi ne pas vider le ciel de nos bombardiers et restituer aux errants forcés une vie paisible?

Dans ce contexte, j’attends du livre, entre cent informations et mille plaisirs, deux aides. D’abord, qu’il me rappelle Un Canadien errant, triste exil de nos patriotes. Ensuite, que le livre m’ouvre les yeux sur ce que font discrètement nos gouvernants. Sur ce terrain, les essais, historiques ou politiques, accroîtront ma vigilance. Ils me rappelleront, par exemple, que le seul pays à oser l’horreur nucléaire fut notre voisin, que jamais nous n’avons prouvé les visées guerrières du programme nucléaire iranien, que les découpages territoriaux perpétrés par l’Europe coloniale pèsent lourd dans certaines tensions régionales. En Syrie et ailleurs.

Lisons Simenon quand il oublie Maigret et parle des injustices de la justice française en Afrique. Lisons Michel Leiris racontant le pillage de l’Afrique par les musées européens. (Visitons le pauvre musée de Samothrace où dort une copie de La Victoire, alors que l’original orne le Louvre.) Lisons le Philippe Claudel de La petite fille de Monsieur Linh. Lisons Lawrence d’Arabie et ses Sept piliers de la sagesse et mesurons sa douleur face à la Déclaration Balfour (2 novembre 1917) : « […] le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif […] étant clairement entendu que rien ne sera fait qui pourrait porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non juives de Palestine… »

La compassion est généreuse; rendons-la durable.

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