L’art, les femmes et leurs hommes

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Il est banal ― et prudent ― d'admettre que les femmes n'occupent pas dans l'histoire de l'art la place qu'elles méritent. Cette inoxydable toile de fond tolère pourtant quelques surprises: quelques hommes, les papas mieux que les maris ou les frères, ont bien traité les créatrices et, plus déconcertant, certaines femmes ont été des menaces pour les créatrices et pour l'art.

Regardons Camille Claudel. Contrairement à ce que racontent les légendes, son maître et amant Auguste Rodin n’a pas été le salopard responsable de sa déchéance. Dominique Bona, qui avait déjà exploré le volcan Gala-Dali (Gala, Flammarion; actuellement en réimpression) retouche si bien la réputation de Rodin dans Camille et Paul: La passion Claudel qu’il devient pour elle un mécène attentif et discret. Le frère Paul, c’est moins bien. Un génie lui aussi, qui fit enfermer sa sœur pour mettre à l’abri sa carrière d’auteur et de diplomate.

Le magnifique catalogue consacré à l’exposition Claudel et Rodin: La rencontre de deux destins, réalisée en collaboration entre le Musée national des beaux-arts du Québec et le musée Rodin à Paris, corrobore et précise ces perceptions. Face à l’étouffante paranoïa de Camille, le personnage le plus cruel fut sa mère: en trente ans, pas une seule visite, refus d’entretenir une correspondance, de la loger dans un asile plus près de ses racines. La seule figure attachante? Le père, Louis-Prosper. À Paul, il écrit: «Si tu voulais m’aider à rétablir l’harmonie, quel service tu me rendrais.» En vain.

Ce beau rôle du père auprès d’une fille douée, Liliane Blanc l’offre en plusieurs exemplaires dans Elle sera poète elle aussi!: Les femmes et la création artistique (Le jour, 1991; épuisé): Anne Hébert, Jane Austen, Clara Schumann, Germaine de Staël, Louise Labé, Christine de Pizan… Abondent, par contre, les maris répugnants, comme Gustave Mahler, et les frères capables, comme Félix Mendelssohn, de ranger les compositions d’une sœur parmi les leurs. Livre écrit trop tôt pour confirmer la réhabilitation de Rodin.

Rôles tristes et semblables que ceux des épouses Cézanne et Zola au sujet de la peinture. Dans la biographie de Cézanne, John Rewald écrit: «Il semble que, dans les cinq semaines qui ont suivi la mort du peintre, Hortense Cézanne et son fils aient vidé l’atelier des Lauves de toutes les œuvres, peintures, aquarelles ou dessins…» Alexandrine Zola avait donné le la. Ainsi, quand Cézanne vint pleurer sur la tombe de Zola, le peintre «ne fut sans doute pas tenté d’approcher Alexandrine, car il savait que, six mois avant la mort de Zola, elle avait mis aux enchères neuf de ses œuvres de jeunesse…» (Zola: Une vie). Henri Mitterrand atteste lui aussi dans L’homme de Germinal: 1871-1893, que la brouille survenue entre Zola et Cézanne avait comblé les épouses: «Cézanne […] a rompu après la publication de L’œuvre, qu’au fond, il n’a pas comprise: personne ne l’a retenu, et surtout pas Alexandrine.»

Un mot sur Saint-Ex. On espère qu’il a ignoré la pression exercée sur sa sœur par leur mère Marie, comme on l’apprend dans l’ouvrage de Michèle Persane-Nastorg, Marie de Saint-Exupéry (épuisé): «À propos du roman que Simone veut publier, Marie a aussi un sentiment d’exclusivité.» Antoine possède «un génie littéraire» hors du commun, pense sa mère, avec raison. Il est pour elle le seul des Saint-Exupéry à pouvoir signer une œuvre de son patronyme. Il ne reste à Simone qu’à prendre un pseudonyme. Devant cette proposition maternelle, Simone s’est révoltée: «Je m’appelle Saint-Exupéry autant qu’Antoine!» Mais par respect pour sa mère et par admiration pour son frère, elle a cédé et n’a rien publié sous son nom.

Qui est parfait, le père, la mère, le mari, le frère…?

Bibliographie :
Camille et Paul: La passion Claudel, Dominique Bona, LGF, 442 p. | 12,95$
L’homme de Germinal, 1871-1893: Zola (t. II) Henri Mitterand, Fayard, 1192 p. | 79,95$
Claudel et Rodin: La rencontre de deux destins, Collectif, Hazan, 384 p. | 69,95$
Cézanne, John Rewald, Flammarion, 282 p. | 104,95$
Zola: Une vie, Frederick Brown, Belfond, 928 p. | 65,95$

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