Les géants ont tôt appris à piétiner ceux qui se dressent devant eux. Le secteur de la culture observe depuis quelques années la montée en force de ces grands joueurs qui dictent leur modèle d’affaires – souvent désavantageux pour les créateurs et pour leurs alliés traditionnels – et qui écrasent toute forme d’opposition. Difficile de leur résister, à ces bêtes, tellement leur puissance est grande, tellement leurs services sont bien rodés et populaires.

Ils s’appellent Netflix, Amazon, Google, Apple, Spotify, Facebook ou Uber. Notamment. Ils utilisent des subterfuges fiscaux partout sur la planète afin d’éviter de payer leur juste part. Ils dirigent l’opinion publique à grands coups de promotions ciblées et de publicités invasives. Ces groupes, si forts, en font trembler plusieurs. Même les gouvernements frémissent. Suffit d’observer les discours confus de la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, et le silence du premier ministre pour s’en convaincre.

Le gouvernement fédéral a décidé de négocier à la pièce des ententes avec ces plateformes internationales. Le premier accord, signé avec Netflix, démontre la faiblesse du gouvernement et le pouvoir exacerbé de ces multinationales. Le pire dans tout cela, c’est que les citoyens n’ont toujours pas accès aux détails de l’entente prise par nos élus en notre nom. D’ailleurs, pourquoi une entreprise étrangère peut-elle avoir le loisir de négocier des questions liées à la taxation? Certes, l’entreprise californienne investira 500 millions de dollars sur cinq ans pour produire des séries originales. Mais aucun engagement n’a été pris sur le type de contenu développé ni sur la part de production francophone, et nous n’avons aucune idée de la nature de l’entente après les cinq ans.

Comment un gouvernement cohérent peut-il maintenir une iniquité fiscale aussi flagrante? D’un côté, il exige des entités locales le versement d’impôts et la collecte de taxes, alors que le géant étranger en est exempté. La ministre Joly a beau prétexter différents arguments – notamment le fardeau financier pour les consommateurs; les citoyens ne goberont pas pareille lubie –, tout ce qu’elle a réussi à démontrer jusqu’ici est à quel point elle a flanché devant ce géant. L’injustice est frappante, et ceux qui devraient défendre un écosystème pluriel et équitable délaissent leur rôle. Une longue liste d’États a pourtant été plus courageuse – de la France à l’Australie.

On ne peut que présager le pire pour la suite : comment le gouvernement Trudeau pourra-t-il être plus ferme avec les autres grands joueurs, alors qu’il vient de créer un précédent dangereux? Quel message lance-t-on aux Amazon de ce monde?

Voir (trop) gros
Nouvelle onde de choc dans le milieu du livre québécois. L’annonce récente de l’acquisition de l’important diffuseur et distributeur indépendant de livres québécois Prologue par le Groupe Renaud-Bray confirme la tendance d’une concentration grandissante dans le milieu du livre.

Cette transaction dévoile la stratégie de Renaud-Bray de construire un empire intégré verticalement : il contrôle aujourd’hui les deux plus grandes chaînes de librairies (Renaud-Bray et Archambault, ainsi que les librairies Olivieri et Paragraphe), des plateformes Web et dorénavant le diffuseur et distributeur Prologue, troisième en importance au Québec et qui offre au Canada les titres de plus de 200 éditeurs québécois ou étrangers.

Une telle nouvelle ne peut que causer l’inquiétude. Pour le réseau des librairies indépendantes, l’appréhension se situe entre autres sur l’accès de Renaud-Bray à des informations commerciales privilégiées, et sur la fragilisation éventuelle de certains acteurs de l’industrie (éditeurs, distributeurs, etc.).

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Les citoyens doivent agir, exiger plus – et mieux – des élus. À l’heure des élections municipales, on pourrait commencer par s’activer localement, notamment en questionnant les candidats à la mairie – autant à Québec qu’à Gatineau – qui annoncent fièrement leur volonté de sabrer dans les bibliothèques, piliers essentiels de nos communautés. Résistons. La soumission, le silence ne seront pas des solutions.

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