Faut-il avoir peur de Google ?

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La Francophonie est nerveuse depuis que Google* a promis d'offrir sur la Toile des pans complets de la littérature anglo-saxonne. D'avance, on prédit la marginalisation de toutes les cultures sauf une. Tout en admettant que l'anglais mène une dure concurrence aux autres langues, depuis quand un idiome obtient-il les promesses de la vie éternelle ? Le latin, porté par l'Empire romain, fait partie des fossiles, mais le français, l'espagnol, le roumain et l'italien s'entendent encore dans les rues.

Quand un éditeur comme Actes Sud puise dans le répertoire mondial et fait connaître Nina Berberova ou Strindberg, il secoue l’emprise anglo-saxonne sur le livre. Quand l’éditeur Autrement retrace les Années de guerre de Vassili Grossman, qu’a-t-il à craindre de Google ? De Soljenitsyne à Montalban, de Peter Handke à Max Gallo, ils sont et seront toujours légion, les auteurs utilisant une langue autre que l’anglais, et dont Google peut au mieux proposer une traduction.

Est-on certain que Google, merveilleux retriever lorsqu’on cherche une référence, sera le premier choix des lecteurs d’Ivanhoe, d’Alice in Wonderland ou de Scarlet Letters ? Depuis quand une technique enterre-t-elle les précédentes ? Quand la photographie est née, des colloques ont redouté… la pornographie. Le cinéma devait tuer le livre, la radio sonner le glas du concert et la télévision liquider le cinéma. Internet favorise l’anglais, mais a-t-il déjà le scalp du français ?

Capituler sera encore plus honteux si cela bénit toutes les démissions. Pourquoi étendre au monde culturel la naïveté qui menace l’éducation ? Plusieurs croient, en effet, qu’on peut s’instruire sans effort, que la pédagogie est à blâmer si elle ne rend pas les apprentissages aussi détendus que les semaines de relâche. Rappelons ceci : on ne construit bien que sur ce qui résiste. Une littérature se fonde aussi sur ses lecteurs.

Pourquoi nos gouvernants devraient-ils à eux seuls épanouir le français, le livre d’ici, les sites Internet plus conviviaux ? Nous, les individus, nous n’aurions pas à trier, mais seulement à consommer ? Passivement, paresseusement, bêtement ? Que les gouvernements subventionnent le cinéma, l’édition ou les bibliothèques publiques, cela ne tonifiera pas la culture québécoise si les individus que nous sommes se moquent de ce que notre milieu produit. Non pas bouder Google, car ce serait bête ; mais apprécier aussi ce qu’il n’offre pas. Google proposera encore plus de contenu anglo-saxon ? Comment s’en étonner ? S’il fallait attendre d’être les plus forts ou les plus nombreux pour parler, écrire, penser selon nos racines et notre culture, ce n’est pas du français qu’il faudrait s’inquiéter en priorité, mais des millions de personnes qui attendent encore l’eau, le téléphone, l’alphabétisation. Nous avons déjà beaucoup et rien ne nous empêche, sinon notre paresse et notre myopie, de créer davantage.

Veillons aussi à vérifier nos sources. Peu diversifiées, elles ne vantent que les triomphes anglo-saxons. Qui sait, par exemple, que deux bibliothèques russes possèdent chacune 30 millions de titres et que la bibliothèque du Congrès américain en contient un million de moins que chacune de ces deux-là ?

* L’équipe derrière le moteur de recherche le plus utilisé sur la planète travaille à construire une immense bibliothèque universelle. Début 2005, Google annonçait la numérisation des fonds des grandes bibliothèques anglo-saxonnes. À raison de 50 000 pages digitalisées par jour, l’ensemble de l’opération s’étendra sur dix ans. Au final, 15 millions de livres seront disponibles sur le Net. Or, même présentées comme un moyen de conservation et de transmission du savoir, les façons de faire du géant américain inquiètent et fascinent à la fois. En effet, tandis que les bibliothécaires étasuniens accueillent l’initiative avec enthousiasme et que leurs cousins de la BNF s’interrogent sur la qualité du produit final et craignent la convergence, journalistes et éditeurs restent sur leurs gardes.

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