Des chacun pour chacun

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Pauvres contes! On les croit tout juste capables, ce qui n'est déjà pas si mal, d'expédier au paradis l'enfant qui dort déjà. Pourtant, le conte en dit long sur notre culture et ses rêves, sur les autres cultures, sur ce que les enfants — nous compris —  aiment lire et entendre. Faisons place au conte au pied de l'arbre! Soit pour les petits, soit pour nous.

Des contes de fées, on connaît les titres: Le chat botté, Le petit chaperon rouge, Blanche-Neige… Gare, cependant, aux contrefaçons à la Disney. Même Perrault n’est pas au-dessus de tout soupçon. Référence dans le domaine, Bruno Bettelheim écrit dans La psychanalyse des contes de fées: «On supprime toute la valeur des contes de fées si on précise à l’enfant le sens qu’il doit avoir pour lui. […] En découvrant lui-même le sens caché des contes, l’enfant crée quelque chose, au lieu de subir une influence.» Donc, il faut aller vers les versions qui ont échappé aux moralisateurs. Les Contes des frères Grimm, par exemple, racontent Cendrillon et La belle au bois dormant sans noyer le récit et l’enfant dans le sirop. Les Contes d’Andersen rejettent eux aussi la guimauve des films fondamentalistes. La petite sirène ou Le petit soldat de plomb savent les enfants capables de compassion. S’il y a larmes, elles sont fécondes.

Place aussi aux contes nés à l’étranger ou avant-hier. Ils ouvrent aux autres mondes et à leurs
cultures. Gogol, dans Le nez ou Le manteau, recrée en rigolant la Russie des tsars. La dame de pique de Pouchkine est un conte aussi prenant dans l’album que dans le film. Quand Oscar Wilde et Steve Adams unissent leurs talents, cela donne Le prince et l’hirondelle, merveille qu’on déguste en cachette avant de le lire pour le dodo. Avec les frères Tharaud, l’enfant savoure la foi médiévale avec sa magie candide (Les contes de la Vierge). Daudet, par ses durables Lettres de mon moulin, révèle la Provence autant qu’un Peter Mayle.

Grâce à l’immense Henri Pourrat, des dizaines de contes brefs et moqueurs renouvellent le répertoire des parents à court d’inspiration (Contes du vieux-vieux temps). Un exemple? Dans Le conte de la pomme d’Ève, le curé qui demande aux enfants en route vers leur première communion à quel moment Adam et Ève ont quitté le paradis reçoit de la petite Marguerite une réponse assurée: «À la fin du mois d’août.» Quand il demande le pourquoi de la réponse, Marguerite rétorque: «Hé, monsieur le curé, parce qu’avant la fin d’août, les pommes ne sont pas encore mûres.» Avec Jean-Pierre Davidts, Le petit prince, qui a charmé plusieurs générations déjà, reçoit un rajeunissement qui le prolonge sans le déformer dans Le petit prince retrouvé.

N’insistez pas seulement, me dira-t-on, sur les contes importés ou empoussiérés! D’accord! D’une mémoire québécoise costaude et authentique, tirons Contes de Jos Violon. Victor-Lévy Beaulieu, qui le présente, a raison d’y voir le meilleur Louis Fréchette. C’est truculent, vivant, exactement ce qui charmait les bûcherons pendant les longues soirées des chantiers. Autre brassée de contes, Le diable Frigolet. Dans un français savoureux et spontané, vingt-cinq contes des Îles de la Madeleine. Des princesses, des défis lancés aux amoureux, de sympathiques entourloupettes, etc. Et, pour apprécier le conte parfaitement contemporain, place aux récits que le magnifique conteur Marc Laberge a regroupés dans La baleine d’Aubert.

À chacun ses contes. Pour voyager, rêver, se connaître.

Bibliographie :
Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim, Pocket, 476 p., 17,50$
Contes, Frères Grimm, Folio, 230 p., 5,75$
Contes et histoires, Hans Christian Andersen, Le Livre de Poche, 1638 p., 49,95$
Le nez, Gogol, GF, 110 p., 4,95$
La dame de pique, Aleksandr Sergueïevitch Pouchkine, Calligram, 120 p., 5,95$
Le prince et l’hirondelle, Oscar Wilde (texte) et Steve Adams (ill.), Dominique et compagnie, 32 p., 10,95$
Lettres de mon moulin, Alphonse Daudet, Le Livre de Poche, 316 p., 9,95$
Contes, Henri Pourrat, Folio, 288 p., 15,95$
Le petit prince retrouvé, Jean-Pierre Davidts, Les intouchables, 86 p., 14,95$
La baleine d’Aubert, Marc Laberge, Trois-Pistoles, 196 p., 19,95$

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