À acheter et à donner, mais aussi à lire !

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Les bandes dessinées constituent un cadeau que l'on peut consommer avant de le donner. On peut en dire autant des albums illustrés, qui prolifèrent à l'approche des fêtes : on peut les savourer (discrètement) avant de les offrir. Je remarque cependant que, pour bien des yeux, l'album est apprécié presque uniquement à cause des illustrations. Certains méritent pourtant d'être lus, à vol d'oiseau s'il s'agit de cadeaux, au rythme de la dégustation s'ils nous sont destinés. Certains sont si beaux que leur prix ressemble à une deuxième hypothèque, d'autres ne crèvent pas le budget courant. Certains calmeront les jeunes aux épuisantes questions, d'autres recourront à la poésie pour défendre des causes délicates. Faire de l'album un bel objet et seulement cela, c'est ignorer ses autres qualités.
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Dans « l’assaut littéraire » de l’album, la maison d’édition Les 400 coups mérite une fleur. Dans Nul poisson où aller (Marie-Francine Hébert, 12,95 $), la guerre est pressentie, subie, comprise, rejetée en quelques lignes et quelques dessins. De la même maison, La Saveur du vide (Lino, 24,95 $) enchaîne les images où noir et rouge rivalisent de violence ; le texte, syncopé, haletant, oppose la ville et la solitude du cœur. C’est une vraie bande dessinée construite à coups de tableaux qui se suffiraient à eux-mêmes. Dans Arrivés à bon port (André Leblanc, 14,95 $), les photographies d’une autre époque, volontairement blafardes et sans sourire, sensibilisent au dépaysement de l’immigrant à son arrivée. Autre maison d’édition tressant plusieurs arts, Les heures bleues combine poignants messages et illustrations savamment construites, tout cela sous le regard de la poésie. Dans Commandements, litanies et autres imprécations (Célyne Fortin, 19,95 $), on lit donc : « Combien de temps encore verrons-nous/ces colonnes squelettiques/râler au son de leur corps/ou chanceler dans leur froc… ? »

L’album ose de bien d’autres manières. Qui a lu Le Petit Prince renouvelle son souvenir de l’auteur s’il lit, s’il lit vraiment, Les Plus Beaux Manuscrits de Saint-Exupéry (Hurtubise HMH, 49,95 $). Belle surprise que cette lettre prémonitoire rédigée le 29 mai 1944 : « Amis d’Amérique, je voudrais vous rendre pleinement justice. (…) Il se peut que s’élève un jour, entre vous et nous, des discussions plus ou moins graves. Si la guerre est toujours gagnée par les croyants, les traités de paix quelquefois sont dictés par les hommes d’affaires… » Et on s’étonnera que Saint-Exupéry ait déposé en juillet 1939 un brevet d’invention pour le « Perfectionnement aux moyens de contrôle des moteurs en vol par un appareil indicateur unique » ? De quoi raffiner le profil de l’écrivain.

Album somptueux, Les Oiseaux du monde (Hurtubise HMH, 69,95 $) innove par son approche. Au lieu d’énumérer les familles de volatiles, ce qui en dit peu sur leur vol, on recourt ici à leurs « outils » et à leurs habitudes : le bec, la plume, l’œuf, le nid… Suivons l’album sur un autre terrain encore. Cirque du Soleil : 20 ans sous le soleil (Hurtubise HMH, 69,95 $) raconte un cirque né dans la modestie et devenu une multinationale du spectacle. Peu complaisant, l’ouvrage en dit long sur les difficultés rencontrées et…. les prévisibles.

Pourquoi cette insistance sur l’album ? Parce qu’il est, plus que d’autres produits littéraires, menacé de « chosification ». On aime sa beauté, mais on oublie, surtout en frénésie de cadeaux, qu’il dit aussi quelque chose. Le jeune qui savoure L’Atlas des océans (Québec Amérique, 18,95 $) peut se réconcilier avec les sciences. Quiconque lit Georges-Hébert Germain imagine la rencontre culturelle entre Blancs et Autochtones. Lire Le Design au Québec (Éditions de l’Homme, 89,95 $) renseignera sur certains progrès accomplis, même si l’industrie de la chaussure et le graphisme des médias (Le Devoir, Le Soleil) auraient mérité mieux.

Le feuilleter sans le lire, ce serait sous-estimer l’album. À sa manière, il est un essai, un conte, une trajectoire.

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