L’automne est propice aux fulgurances. Les feuilles couleur safran et écarlate, le brouillard triomphant, le givre qui cuirasse les branches encore vives… La lumière devient furtive, les crépuscules, rapides, mais éclatants.

La forme brève des nouvelles est à l’image de cette fulgurance, de la quête passionnée de l’alchimiste en perpétuelle recherche de l’essence de l’univers. Les histoires courtes, distillées, suspendues dans l’instant, se lisent naturellement tandis que l’envie d’allumer un feu de foyer s’avère irrésistible.

J’aime particulièrement ces récits de quelques pages parcourus à la lueur fauve de l’âtre, quand les ombres du soir dessinent sur les murs monstres et légendes…

Les personnages que Dave Côté met en scène dans son recueil Nés comme ça ne sont pas exactement des monstres. La plupart du temps, comme l’indique le titre du livre, les protagonistes ont grandi avec une caractéristique unique, voire absurde : une jeune femme est un vortex vivant (« Vortex »), un homme est constitué de pâtisseries (« Monsieur Gâteau ») — organes internes compris —, un second (« L’homme aux chiots ») a des chiots en guise de mains…

L’imagination de Dave Côté atteint son paroxysme dans ces douze nouvelles inventives, précédées d’une préface d’Élisabeth Vonarburg, dans laquelle l’écrivaine et directrice littéraire met de l’avant la « logique de l’absurde » de l’auteur. Car, comme le précise la préfacière, « il y a des imaginaires plus imaginaires que d’autres ».

En effet, Dave Côté, malgré ses idées toujours surprenantes (je pense par exemple à « En prison », où un père a un trou au milieu du dos dans lequel ses victimes disparaissent pour se fondre en une sorte de magma), ne se contente pas d’empiler les phénomènes étranges. L’écrivain de la relève développe avec soin ses héros et héroïnes, non exempts de défauts, dont l’orgueil (« Le talent d’Ati ») ou l’égoïsme (« Les olives de Mélanie »). Certains d’entre eux sont malchanceux, notamment le narrateur de « Tout à la fois », tête d’une espèce de sphère extraterrestre à la croissance débridée : « Je suis pas un monstre qui va détruire le Terre. Je suis juste… un peu tout à la fois. »

Les talents de conteur de Dave Côté confèrent une étonnante puissance à ses personnages atypiques, indirectement monstrueux, qui poursuivent avec naturel d’ahurissantes quêtes, à l’instar de ce casseur de branches responsable de destinées humaines « suspendue[s] par un filament d’écorce »…

Créatures extraordinaires et revenants sont également à l’honneur dans le recueil de nouvelles Monstres et fantômes, dirigé par Stéphane Dompierre. Le sommaire rassemble quinze auteures qui avaient pour mandat d’écrire une histoire horrifiante. Et le résultat est réussi, en particulier les deux premiers textes, d’une impressionnante maîtrise. « Le poids », de Stéphanie Boulay, prend pour assise le thème classique de la maison hantée, mais l’écrivaine et musicienne le transcende par le style ainsi que par l’atmosphère anxiogène qu’elle y distille. Comment ne pas frissonner en lisant : « Quelque chose avait voulu faire son nid dans le mien. Mais il n’y avait rien d’autre de vivant dans la maison : tout était gelé »? L’ambiance de ce récit m’a rappelé la glaçante nouvelle « Le nid » de Lisa Tuttle, auteure fantastique de renom.

Fanie Demeule propose dans « St Kilda » une histoire incandescente d’agente de voyage fascinée par les noms de lieux inusités (je la comprends tellement !). Séduite par les sonorités de « St Kilda », la femme jette l’ancre — en compagnie de sa sœur — sur une île aux oiseaux pour le moins effrayante. Parmi des ruines, aux abords d’un village déserté, sont tracés des « pétroglyphes représentant des figures humaines ailées [d]’anciennes divinités ». De la haute voltige !

Les fervents de fantastique classique apprécieront sans doute « Et le mal, et la mère », alias Exorciste-2018, de Geneviève Jannelle, au ton toujours savoureux, les manifestations occultes vengeresses de Mikella Nicol, dans « Let Me Out Now », et « Le chat noir et autres contes », de Maude Nepveu-Villeneuve, où les spectres s’inspirent des fictions d’Edgar Allan Poe pour prendre d’assaut une pauvre professeure de soir au collégial. L’inquiétant chat emmuré vivant, Pluton, fera ici entendre ses grattements « comme des ongles, ou des petites pattes sur le carrelage »…

Des visions hallucinées ou prophétiques, clins d’œil à la folie, se déploient dans « Montréal brûle », de Mélikah Abdelmoumen, qui propose un récit touchant sur les attentats, et « Paréidolies », de Mélissa Verreault, dont le titre, issu du grec, renvoie au phénomène psychologique qui nous fait reconnaître des formes connues dans l’indistinct. Il peut s’agir par exemple de figures humaines discernées sur certaines falaises (merci à Mélissa Verreault de m’avoir appris que j’ai grandi non loin d’une paréidolie gériatrique : le rocher de Grand-Mère !).

Rappelant les personnages de Nés comme ça, les monstres du recueil dirigé par Stéphane Dompierre sont aussi parfois dans les esprits chaotiques de quelques-uns des protagonistes. Monstres et fantômes est un ouvrage à lire telle une plongée en lande noire, enveloppé de cendres encore chaudes.

Le chaos est souvent brûlant dans Zoologies, de Laurence Leduc-Primeau, qui a réuni — au sein de son premier livre — des microrécits, c’est-à-dire des nouvelles qui dépassent rarement une dizaine de lignes. Le tout forme un ensemble morcelé, mais cohérent, dans lequel des bêtes légendaires assistent aux balbutiements d’un amour nouveau.

Nous sommes à l’intérieur d’une fable plantée dans un décor de conte de fées, devant un château « avec des tourelles en pâte d’amande, des dragons et l’eau turquoise des amoureux ». Les êtres — créatures comprises — sont constamment imprévisibles, toujours prêts à « chausse[r] des mocassins ailés ».

La fantasy se teinte de poésie, évoquant un peu la démarche d’Isabelle Gaudet-Labine (mais du côté de la science-fiction) dans Nous rêvions de robots. Cette fois, le songe est zoologique, et les bêtes puisent au cœur des possibles, cherchent l’or dans les étreintes des licornes monstrueuses. L’horreur, ici colorée de la rosée des amours inédites, rôde dans les morsures à venir et rappelle à sa façon les stigmates terrifiants de Monstres et fantômes et les altérations corporelles de Nés comme ça.

Avec l’hiver qui amène son cortège figé, pourquoi ne pas se laisser tenter par la fulgurance de recueils de nouvelles ? Se blottir au coin du feu avec son Pluton (pour moi, ce sera Éden) et ses vibrisses qui font des ombres immenses au plafond ? Et croire, à l’égal des personnages de Zoologies, que de ces histoires « sont tirées toutes les légendes ».

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