Les images du rêve, et les autres

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Depuis son enfance, Jacques Klein a été entraîné à bien dormir; à respecter les différentes phases du sommeil qui mènent au rêve et à les atteindre délibérément. Sa mère Caroline, scientifique émérite, est persuadée des vertus non seulement du sommeil, mais surtout du rêve. Il décide très vite de devenir neurologue, pour suivre ses traces. Hélas, pendant la poursuite du projet secret de celle-ci – découvrir un état encore jamais atteint, le sixième sommeil –, le cobaye humain meurt. Devenue paria et licenciée, Caroline Klein disparaît sans laisser de traces. Après des recherches infructueuses, Jacques devient insomniaque. Il sombre de plus en plus en dépression et se perdrait totalement si une expérience stupéfiante ne venait le tirer de là : un double plus âgé (surnommé JK48 pour le différencier du Jacques de 24 ans…) vient le visiter dans un rêve de drogue. Il lui déclare qu’il a réussi à inventer ce qu’il désigne par l’acronyme ATON, une machine biologique à remonter dans le temps au moyen du rêve, et insiste pour le faire partir en Malaisie, où, lui dit-il, sa mère est en danger. Il ne peut rien lui dire d’autre, bien sûr, sous peine de créer de dangereux paradoxes temporels et nuire à sa propre existence. Malgré son incrédulité, Jacques finit par s’exécuter. Il découvre ainsi que sa mère a sauvé de l’extinction une tribu de Sénoïs – une peuplade indigène dont toute l’existence et la culture tournent autour du rêve – pour les reloger dans une île perdue qu’elle a achetée. Hélas, l’île a commencé à susciter la convoitise de développeurs touristiques peu scrupuleux, et Caroline a été tuée. Jacques parvient cependant à défendre l’île et à la rendre sécuritaire, tout en retrouvant sa capacité à dormir et surtout à rêver. Il épouse la Maîtresse des Rêves sénoï, l’aveugle Shambaya, et il en a un fils qu’ils nomment Icare. À 48 ans, cependant, il reprend contact avec son moi plus âgé (devenu JK64), car il est temps pour lui de devenir celui qui a inventé l’ATON. Et il apprend de surcroît que sa mère n’est pas morte du tout – les Sénoïs, sur l’ordre de Caroline, lui ont menti. À Paris, il retrouve un ancien associé de sa mère, qui lui confirme que celle-ci est bien vivante, ainsi qu’une ancienne amante, Charlotte, qui effectue des recherches à la frontière du cinéma et de la captation visuelle de l’activité neurologique. Malheureusement, quand il retrouve sa mère – somnambule – c’est pour la voir s’écraser dans la rue pendant une crise. Elle est maintenant dans un coma profond.

Jacques poursuit ses recherches, mais, autant celles de Charlotte et de son fils (qui s’est spécialisé dans l’informatique) connaissent un succès foudroyant, autant les siennes piétinent. Finalement, c’est une nouvelle rencontre en rêve profond avec JK64 qui le lance sur la bonne piste – biologique. Une fois le produit ad hoc mis au point, Jacques décide d’être son propre cobaye et découvre bel et bien le sixième sommeil, une zone délicate du coma dépassé, toute proche de la mort. Là, en compagnie de JK64, il crée l’ATON dans son propre cerveau et revient ensuite dans le monde de l’éveil. Il y tire alors sa mère de son coma en l’accompagnant dans les phases de plus en plus profondes du rêve, comme elle le faisait pour lui lorsqu’il était enfant.

Ceci n’est qu’un résumé succinct des péripéties rencontrées dans Le sixième sommeil de Bernard Werber. Ajoutez des exposés scientifiques présentés sous forme de conférences, de conversations techniques entre chercheurs ou de discussions éducatives entre Caroline et son fils, et des résumés de style script de l’action pour se débarrasser de la durée entre les moments dits « forts » où il se passe vraiment de quoi, et vous aurez un roman typique de Bernard Werber. On ne lit pas cet auteur pour la beauté de sa prose ni pour les subtilités de sa narration, mais pour ce qu’il raconte, pour ses échappées surprenantes vers des domaines plus ésotériques de la connaissance autant que pour ses dérapages vers la poésie, la philosophie et la spiritualité, le tout exprimé dans une forme accessible à tous, avec ici et là des touches d’humour discrètes, mais éclairantes elles aussi. Le sommeil et le rêve sont, comme le dit Caroline Klein, le dernier continent vierge à découvrir – et nous en découvrons beaucoup au fil de cette histoire. Si on lit l’anglais et désire quelque chose qui ressemble davantage à de la science-fiction pure et dure, sur le même sujet on peut toujours aller lire (ou relire) la trilogie de Nancy Kress qui commence avec Beggars in Spain. Mais, en français, c’est ce qu’on trouvera de mieux sur le sujet – et en un seul volume!

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