Septembre noir

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Le 11 septembre. C'est par cette date que commençait l'éditorial d'Ignacio Ramonet dans Le Monde Diplomatique d'octobre dernier. Une date marquante du terrorisme international qui marquera à jamais la conscience humaine. En effet, le 11 septembre 1974, le putschiste Pinochet, soutenu par les Américains, bombardait le palais présidentiel du président Allende, démocratiquement élu par le peuple chilien. Cet épisode de l'histoire fut le prélude à des milliers de morts par torture, d'abord dans le stade de Santiago, puis dans les prisons chiliennes. L'histoire les a oubliés mais certains n'oublient pas.

Heredia est l’un d’eux. Il a perdu des amis et surtout ses illusions. Détective privé fauché dans la plus pure tradition du roman noir, marqué au fer rouge tant dans sa vie sociale à peu près inexistante (sauf un ami, propriétaire de la tabagie voisine et quelques compagnons de beuveries) que dans sa vie amoureuse (« arrête de ressasser le passé mon vieux ! »), il refuse de courber l’échine et traque les dessous nauséabonds de la politique chilienne. Seul son chat philosophe Simenon tente périodiquement de le ramener à une certaine raison lorsque sa tête s’emballe.

Dans Les sept fils de Simenon, Ramon Díaz-Eterovic entraîne son personnage fétiche, le détective Heredia – des nombreuses aventures duquel voici une première traduction française de ses nombreuses aventures – sur les traces d’une grande multinationale qui essaie de faire accepter au gouvernement chilien un projet de gazoduc au détriment de l’environnement et de la santé de la population. Pots de vin, soumission de la presse et meurtres pour écarter les gênants, rien n’arrête une multinationale quand il s’agit de faire triompher le dieu suprême : l’argent. Heredia, qu’on essaie lui aussi de faire taire, s’en sortira de peu… mais il s’agit d’une fiction !

Un excellent roman noir, écologique, et une façon mélancolique non dénuée d’humour de découvrir de l’intérieur Santiago du Chili, une ville que manifestement l’auteur aime. Espérons que l’éditeur traduira le reste de la série.

Sans détective privé cette fois, John Le Carré nous entraîne lui aussi dans une quête qui s’apparente au roman noir [La constance du jardinier, Seuil, 2001]. Justin Quayle est un diplomate anglais sans histoire, jardinier amateur en poste au Kenya. Sa femme Tessa, avocate militante dans une organisation humanitaire, est assassinée en compagnie d’un médecin africain. Ils enquêtaient sur une grande multinationale pharmaceutique anglaise ayant des racines en Europe et au Canada et qui se sert de l’Afrique comme réservoir à cobayes pour tester ses médicaments. La diplomatie anglaise tente de maquiller l’affaire en meurtre passionnel. Justin n’y croit pas. Il se lance clandestinement à la recherche des tueurs et progressivement reprend l’enquête de sa femme. Une enquête qui dérange tous ceux qui de près ou de loin sont menacés par des révélations gênantes : la multinationale, le foreign office, le pouvoir kenyan et même les scientifiques payés pour approuver la mise en marché des médicaments.

Quel roman ! Le Carré se bonifie en vieillissant. Ses personnages sont fouillés, crédibles. Les réalités sociales et politiques du continent africain s’imbriquent dans une trame sans faille ou les conséquences désastreuses de la diplomatie occidentale sont clairement énoncées. Si on y croit tellement, et c’est le génie de Le Carré, c’est qu’on sait que l’histoire colle de très près à la réalité. Cette charge incisive contre les méfaits de la mondialisation appliquée au continent africain va au-delà de la fiction. Un des meilleurs romans de Le Carré, et certainement le plus noir.

Si vous êtes tannés de lire l’unanimité bêlante des commentateurs politiques et des éditorialistes soumis à la main qui les nourrit (eh oui, encore une multinationale !), ces intégristes du néolibéralisme qui nous exhortent à une guerre sainte tout comme les intégristes musulmans, voici deux livres qui évoquent, chacun à sa façon, les causes de ce qui nous arrive. Écrits avant le 11 septembre 2001. Profitez-en !

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