Quête de sens, quête d’essence

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La littérature comme l'expression d'une quête de sens, d'une quête d'essence : la proposition, j'en conviens, a des allures de lieu commun. Ce qui ne lui enlève pas sa pertinence, ainsi qu'en témoignent ces trois titres choisis presque par hasard dans la fournée de l'actuelle saison de la rentrée. Au menu : deux romans, fort différents, et un recueil de poésie.

Des yeux d’enfant malade…

Comme dans la chanson du bon vieux Léo Ferré, elle a des yeux d’enfant malade, cette adolescente qui erre dans les rues de la métropole à la recherche de son bien-aimé dont elle est sans nouvelles depuis quelque temps. Et, comme dans la chanson de Ferré, c’est en suivant son chemin de Damas amoureux, toute désespérée qu’elle puisse sembler, que la petite entrera dans l’âge adulte. Mais n’anticipons pas. Elle s’appelle Émilie, et lui Yann. Elle est toute jeune, il est junkie. Depuis qu’il a disparu, elle redoute le pire et a sans doute raison. Car leur histoire a tout de la tragédie somme toute ordinaire, comme celles qui font tous les matins les manchettes de tabloïds et que l’on oublie trop facilement le soir venu.

Avec Une seconde d’inachèvement, qui abordait également le thème du désarroi amoureux, Maxime Mongeon avait affiché clairement ses couleurs, c’est-à-dire sa prédilection pour le registre de l’intime, que confirme quatre ans plus tard son deuxième roman. Ajoutons à cela un certain lyrisme, qui confère à sa prose des accents de poésie. Divisé en deux parties, auxquelles une manière d’épilogue situé dix ans plus tard vient mettre un point d’orgue, Petite suit la dérive urbaine d’Émilie dans des lieux familiers (les coins de rue où l’on mendie, la manufacture abandonnée où l’on squatte). Ça et là, l’adolescente croise des visages connus (Mme Vong Thanh Chi, la propriétaire de l’épicière vietnamienne ; Carlos, le tatoueur qui profite des talents de dessinateur de Yann ; et Jamil, l’ami de Yann).

Écrit en mode mineur, quasiment chuchoté à l’oreille du lecteur, avec une alternance entre les pensées et les vers d’Émilie et la voix discrète d’un narrateur externe, Petite déploie son intrigue minimaliste dans une écriture délicate, avec une sobriété qui est aux antipodes de la dureté, de la cruauté de
l’univers du junkie. C’est une œuvre maîtrisée et pourtant sans prétention, une sorte de déclaration de principe esthétique qui confirme le statut de Maxime Mongeon parmi les jeunes romanciers sur lesquels il faudra désormais compter.

Aimer à en mourir, peut-être…

L’amour tue, c’est connu, mais il faut pour cela avoir de la chance, beaucoup de chance. C’est pourquoi j’ai renoué avec la poésie de Fernand Durepos, qui fait paraître cet automne son sixième recueil au titre savoureux, Mourir m’arrive. Mis à part le style épuré qui fait cette fois l’économie des emprunts à la langue d’une certaine poésie rock, on y retrouve un Durepos fidèle à une démarche personnelle amorcée dans les œuvres précédentes (Mémoire d’un tueur de temps, De par les rues de bohémien, J’ai laissé au Diable tes yeux en pourboire, etc.), démarche axée autour du sentiment amoureux et de l’exploration de la nécessaire démesure de celui-ci.

« Admettre / ne pouvoir la vivre / que totale / jusqu’à n’avoir en bouche / que souvenance de soufre / ses lèvres pour seule mémoire / de tout ce que fondre / aura voulu dire », écrit Durepos, avec l’incandescence dont on le sait capable. Dans ces poèmes regroupés en trois sections distinctes (« Les Grands Espaces », « Hostellerie des Turbulences » et « La Navigation du sang »), on croise par moments le spectre de ces mentors qui ont influencé le poète — Claude Péloquin, Gérard Godin et surtout Denis Vanier —, mais ce ne sont que des réminiscences fugaces dans l’espace d’un cillement. Par son ton direct, par son propos sans affectation, Mourir m’arrive témoigne néanmoins, d’abord et avant tout, de la grande maturité d’un Fernand Durepos en pleine possession de son Verbe, un poète préoccupé par le temps qui passe un peu trop vite et nos amours meurtris et meurtriers, que l’on voudrait néanmoins immortels.

Mieux vaut en rigoler… ?

Et puis, sur une note peut-être un peu plus badine (mais pas tant que ça), je m’en voudrais de passer sous silence le premier roman de Robert Blondin, artisan incontournable de la radio de Radio-Canada depuis une quarantaine d’années. Intitulé Péril à la radio, ce pseudo-polar satirique raconte les conséquences pour le moins malencontreuses d’un mal insolite qui vient faire taire pour de bon les voix les plus réputées de la radio d’État, qui succombent les unes après les autres à de mystérieux cancers… Épidémie ? Meurtres en série ? Complots de concurrents ? Le mal est d’autant plus intrigant qu’il ne s’en prend qu’aux animateurs de la radio francophone. À l’illustre animateur L’Anguirland et à son fidèle compagnon Cybèle, seul chien admis dans la vénérable tour sise boulevard René-Lévesque Est, de démêler les fils de cette intrigue tarabiscotée à souhait.
Impossible de ne pas songer à Michel Tremblay et à son divertimento aux allures de pamphlet En circuit fermé, charge redoutable contre les gestionnaires de la télévision nationale qui avait fait couler pas mal d’encre au moment de sa parution. À l’instar de l’auteur des Chroniques du Plateau Mont-Royal, Robert Blondin nous invite à le suivre dans les coulisses de la radio d’État, brosse sur un ton grinçant le portrait impitoyable d’une certaine faune dévorée par l’ambition et obsédée par le succès, et lève le voile sur les trafics d’influences, guerres intestines et jeux de pouvoir qui sont monnaie courante dans le milieu. Le roman n’est certes pas dénué de petits défauts — dont quelques longueurs qu’une direction littéraire plus rigoureuse aurait dû inciter l’auteur à resserrer —, mais il a le mérite de nous faire rire d’une situation qui en attriste plus d’un.

Bibliographie :
Petite, Maxime Mongeon, Leméac
Mourir m’arrive, Fernand Durepos, L’Hexagone
Péril à la radio, Robert Blondin, Stanké Éditeur

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