Le Don de la poésie

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À l'école, on m'a appris que les poètes étaient des gens qui possédaient un don. Ils étaient des êtres à part car Dieu les avait choisis pour recevoir l'inspiration céleste. Plus tard, en tentant d'écrire quelques petits textes, j'ai compris que la poésie était l'affaire des humains. Le poème permettait un échange, j'avais le sentiment profond de faire partie de l'aventure humaine. Écrire un poème, m'est-il alors apparu, c'était donner « quelque chose ». Mais quoi ? Encore aujourd'hui, je serais bien embêté de répondre à cette question.

Michel Létourneau et Stéphane Picher appartiennent à cette classe de poètes pour qui la poésie est une rencontre avec l’autre. Je vous invite à entendre la voix de ces deux auteurs de la région de Québec.

Nos vies infranchissables

Né en 1959, Michel Létourneau vient de publier, aux Écrits des Forges, un magnifique recueil intitulé Nos vies infranchissables. Il nous parle de sa démarche d’écriture.

« Je crois qu’il y aura toujours une sorte de  » vérité supplémentaire  » dans l’écriture de la poésie. Cette vérité précède et habite à la fois les mots qui se donnent là, généreusement devant nous. Je pense d’ailleurs de plus en plus que les mots importants dans ce que je viens d’énoncer ne sont pas « vérité supplémentaire » mais bien plutôt  » se donnent « . En effet, je conçois que l’essentiel dans la poésie se trouve dans le  » don « . En tant que poète, j’essaie de donner à voir, à entendre et à sentir. C’est du moins ce que je tente dans mon écriture. C’est aussi une tentative de donner simplement quelque chose de vrai qui est une partie de moi. L’écriture est elle-même souvent généreuse du simple fait qu’elle émerge tout en se gardant bien par ailleurs de tout donner ! Car, évidemment, les mots ne se laisseront jamais épuiser dans l’étendue de leur potentialité. Les poètes, peut-être plus que les autres, savent cela pour l’avoir maintes fois expérimenté.

Dans Nos vies infranchissables, je n’avais pas d’intention bien arrêtée quant à la teneur du propos comme tel. Par contre, un fil conducteur s’est finalement imposé de lui-même. En substance, je traite de l’Histoire de la vie, de l’amour, de nos quêtes et de la mort qui se profile en une présence diaphane et pourtant certaine. Ce sont des jalons incontournables que je questionne, qui pourraient aboutir selon le lecteur en une sorte d’interpellation en faveur de la vie, bien que celle-ci, en raison de son épaisseur, nous apparaîtra toujours infranchissable.

J’en suis à mon quatrième recueil. Bien entendu, je voudrais aller de l’avant et poursuivre ma démarche encore longtemps. Pour moi, la poésie doit se faire proche tout en donnant une perspective nouvelle des choses. Présentement, ma conjointe et moi effectuons une démarche d’adoption internationale. C’est un événement que je vis intensément dans ma vie. Je suis en train d’écrire quelques poèmes sur cela. Je sens que ces poèmes me traversent. C’est dans ce sentiment d’être traversé que je soupèse la pertinence et la valeur de ce que je suis amené à écrire. »

La Naïveté de vivre

Stéphane Picher vient de faire paraître aux éditions Le Loup de Gouttière un premier recueil au titre d’une remarquable beauté : La Naïveté de vivre. Écoutons-le nous parler de l’écriture et de la vie.

« Pour moi, le lieu d’avènement de la poésie est celui de la lecture. C’est le lecteur en effet qui « complète » le processus d’écriture poétique (qui n’est pourtant jamais véritablement complété) ; c’est lui qui, au moment d’écouter le poème,  » interprète « , ressent, comprend les mots qui ont été disposés par le poète. Il les interprète et les comprend à sa propre manière de lecteur, inachevée, toujours à refaire, et qui dépend de tout son bagage de lecteur. Bien d’autres avant moi l’ont dit : l’écrivain et le lecteur sont des maillons dans la chaîne de l’écriture, et chacun n’est rien sans l’autre. Le lecteur, ou pour mieux dire, la lecture, reste pourtant pour moi le maillon le plus important. Car qu’est-ce que le travail de l’écrivain, et du poète en particulier, sinon un travail de lecture ?

En tant que poète, je dispose des mêmes outils que tout le monde : une langue, des dictionnaires, une grammaire. Ce réseau ne m’appartient pas en propre ; tout le monde y a accès autant que moi. Mais parmi ces mots, ces tournures qui sont à tous, j’en ai choisi certains qui me paraissaient porter une beauté, une vérité, un sens intéressants. J’ai donc lu avant tout : à l’intérieur du grand livre possible (celui dont me permettent de rêver les infinies combinaisons de la langue). Il est normal, bien sûr, que je procède à cette lecture en me laissant  » inspirer  » au départ par mes émotions, mon intériorité, ma vie amoureuse, mes blessures, etc. Mais puisque j’utilise les mots de tout le monde et que je désire, ultimement, que mes textes soient publiés — et donc communiqués aux autres — pourquoi m’entêterais-je à parler de moi ?

Le poème n’est pas ou ne devrait pas être une promotion du poète : s’il y a beaucoup de  » je  » dans sa poésie, il devrait chercher pourtant à parler d’un « je » partageable, d’un « nous ». Si le lecteur ne reconnaît pas dans le poème certains thèmes proprement humains qu’il partage avec le texte, si je n’ai pas réussi à parler un peu de lui, alors j’aurai échoué. C’est peut-être là pour moi le plus important : que les gens sachent que mes poèmes parlent d’eux. »

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