La voix des poètes

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I1 y a des jours où les beaux discours savants autour de la poésie m'ennuient profondément. C'est alors que, dans un besoin de silence intérieur, j'écoute la voix des poètes. C'est cette voix que j'aimerais faire entendre. Voici les mots de sept livres de poésie qui, cet automne, me sont tombés dans les mains comme les feuilles quittent un arbre.

Martine Audet vient de publier son troisième recueil aux Éditions du Noroît. Orbites, s’il se situe dans le prolongement des deux précédents, marque aussi une différence ou un ajout. Livre de questions et d’émotions, la poète explore dans son écriture le mouvement de la présence au monde. Elle écrit :  » nos yeux découpent de minces lisières de ciel// des arbres sortent des arbres// le temps passe t il/ ou s’il nous répète// je déplace mes ombres/ l’eau de nos déguisements// où suis-je/ si je ne suis pas dans le vrai// que donner aux oiseaux « .

Toujours aux Éditions du Noroît, J.F. Dowd vient de publier dans la collection « Chemins de traverse », dirigée par Paul Bélanger, un magnifique essai poétique intitulé Le briquetier et l’architecte. L’auteur, dans une sorte de carnet de notes, mène une réflexion autour de l’acte poétique. Le livre se termine par deux remarquables et émouvants portraits de deux maîtres professeurs qui ont marqués Dowd : Jacques Brault et Georges André Vachon. Voici un court extrait :  » Il est de notoriété courante, en effet, que la poésie ne se peut traduire en aucune langue, à commencer en cela par la langue même dont elle est issue. Elle parle une langue tierce et comme absolue, à laquelle tous les codes, tous les systèmes de signes ne servent que de marchepied, instrument de peu de brillance et, en quelque sorte, rétractable « .

Professeur de philosophie à Chicoutimi, Carol Lebel publie aux Éditions Le Loup de Gouttière son dixième livre superbement intitulé Des mondes nous échappent. Regroupant une centaine de haïkus, petits poèmes brefs de tradition japonaise, le recueil nous propose une ballade à travers les émotions et les sensations d’un marcheur. Il note le quotidien comme un photographe le saisirait sur sa pellicule. Carol Lebel, que le poète Michel Garneau qualifie comme un maître québécois du haïku, nous invite avant tout à une expérience de contemplation devant le réel. Tendons l’oreille et le cœur : « loin d’elle/ ne pas savoir quoi écrire /sur la carte postale  » (p. 44) « un peu ivre/ sous un grand saule pleureur/ j’ouvre ta lettre  » (p. 52) « long soir d’hiver/ je referme l’album de photos/ tout à coup des larmes  » (p. 34) et ce haïku qui ressemble à une métaphore de tout le recueil  » à chaque page/ d’un vieux carnet retrouvé/ carpe diem  » (p. 21).

Guy Marchamps, libraire de Trois Rivières, nous donne également à lire des poèmes brefs. Publié aux Éditions d’art Le Sabord et magnifiquement illustré par Jean Pierre Gaudreau, le poète nous fait visiter un véritable Bestiaire. I1 écrit : Il est faux de dire/ que les vaches aiment regarder/ passer les trains./ Ce sont les trains/ qui aiment passer/ là où il y a des vaches « . Plus loin il pose la question: « Qui sait ?/ Qui sait vraiment/ si la tortue n’est pas une pierre/ qui, à force de rêve,/ est parvenue à avancer ?  » Et cette réflexion :  » Toute l’histoire/ aurait été changée/ si le Petit Chaperon rouge/ avait eu une faim/ de loup « .

Deux jeunes poètes, Pierre Labrie et Carl Lacharité, publient À tout hasard aux Éditions d’art Le Sabord. Dans leur livre à deux voix, les auteurs présentent ainsi leur travail :  » Force nous est d’admettre qu’une certaine forme se dégage de ces textes. Un marketing de l’image. Un partchwork de publicités, aphorismes, énigmes, horoscopes, sondages, haïkus, proverbes, dépêches, dont les qualités littéraires sont celles du Photo Police « . Tout un programme ! Cela donne un livre d’une belle authenticité où la poésie ne fait pas la belle, comme un petit chien savant, mais cherche plutôt à expérimenter le monde en prenant des risques. Quelques exemples :  » mettons/ qu’une critique sur un livre soit mauvaise ou non/ est ce que ça empêche l’auteur de regarder le Super Bowl  » et plus loin :  » la matraque est souvent décevante/ certains ne l’ont pas où ils la voudraient/ c’est un problème d’éthique  » et cette question :  » vrai ou faux/ l’art est un bruit réel/ en dépit des ratures « .

Née en Ontario, Jane Urquhart est l’auteure de plusieurs recueils de poésie et de romans. Son dernier roman, Le peintre du lac, a remporté le Prix du Gouverneur général du Canada. Les Éditions Triptyque viennent de faire paraître, dans une traduction de Nicole Côté, Les petites fleurs de Madame de Montespan. Ce recueil mêle poèmes, journal et notes. Les textes portent principalement sur la relation que Madame de Montespan a entretenue au fil des ans avec Louis XIV.

C’est dire l’atmosphère de ce livre. Un extrait :  » Ce sont des espaces trompeurs// des fenétres bronzent/ une froide pierre réchauffe// J’essaie de raccorder/ la rupture de l’horizon/ mouvant d’une distance à l’autre// il y a des canaux/ minces comme feuille d’or/ et des rêves de fontaines/ qui s’effondrent au bord « .

Et pour finir, je souligne l’importante parution d’un choix de poèmes de Louis Dantin (1865 – 1945). Référence incontournable en ce qui concerne la poésie de Nelligan, parce qu’il l’a présenté en 1903 dans une critique remarquable, Louis Dantin, et surtout son œuvre poétique, demeure méconnus. L’abîme hospitalier, publié aux Écrits des Forges regroupe quelques uns des poèmes écrits par Dantin, des poèmes montrent avant tout le drame amoureux de leur auteur. Éric Roberge, qui a effectué le choix des textes, signe une riche présentation nous aidant à comprendre qui était Dantin, l’homme. Dans un poème intitulé Optimisme, on peut lire :  » Rien n’est souffrant ou vil qu’un idéal n’élève/ Et qui n’ait son reflet dans le prisme du Beau:/ L’anémone parfume et fleurit le tombeau /Et toute fange est d’or quand le soleil se lève « .

Bonne lecture !

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Orbites, Martine Audet, Éditions du Noroît
Le briquetier et l’architecte, J.F. Dowd, Noroît
Des mondes nous échappent, Carol Lebel, Loup de Gouttière,
Bestiaire, Jean-Pierre Gaudreau, Éditions d’art Le Sabord
À tout hasard, Pierre Labrie & Carl Lacharité, Éditions d’art Le Sabord
Les petites fleurs de Madame de Montespan, Jane Urquhart, Tryptique
L’abîme hospitalier, Louis Dantin, Écrits des Forges,

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