Feuilles d’automne

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Les aléas du chroniqueur: quelquefois, il cherche un fil conducteur, une thématique qui relierait les œuvres entre elles. D'autres fois, ce sont les œuvres qui mènent, et on se promène parmi elles comme à travers les feuilles d'automne: des vertes, des jaunes, des rouges, des cuivrées, et il ne reste plus qu'à errer et découvrir le chemin qu'elles nous tracent. Voici quelques promenades dans cette saison qu'on dit propice à la poésie.

Dans l’immensité fragile
Martine Audet a publié des recueils de poésie avec une certaine régularité depuis une dizaine d’années, obtenant au passage plusieurs prix et distinctions qui ont souligné la qualité de son œuvre. Elle publie cet automne un diptyque sous le titre «Les grands cimetières», dont le thème central est, nous dit l’éditeur, «le deuil des certitudes». Le premier volume, Le ciel n’est qu’un détour à brûler, témoigne d’un difficile rapport au monde, alors que «le réel / est un mouvement / rare». Les textes sont accompagnés de photos qui présentent des sculptures faites de papiers déchirés, où se devinent les poèmes du recueil, prolongeant ainsi le texte en métaphorisant cette difficile accession à l’écriture, donc à l’existence. Il s’agit littéralement d’une poésie ontologique où l’être émerge de cette «immensité fragile», et dont la frontière est constituée précisément de la parole poétique et de sa fixation sur le papier. Aussi, bien que la poète «parle / par transparence», il lui faudra passer par «l’envie de résoudre / l’énigme du poème».

Le deuxième volet, Je demande pardon à l’espèce qui brille, est plus marqué par la douleur et la perte. D’entrée de jeu, la poète y déclare: «Je suspends mon corps aux portes de l’abandon.» Le recueil se présente comme une suite de monostiches: chaque vers, isolé par un pointillé, énonce une vérité chaque fois nouvelle. La poète, ainsi, «trie les éclats qui montent à la surface». À travers cette recherche d’une voix pour dire sa douleur et sa présence au monde, l’écriture devient littéra­lement salvatrice, alors que «sur le mur de l’absence les mots répètent leurs caresses», même s’il faut «mourir souvent pour finir un poème». Au bout de cette introspection se prépare toutefois une renaissance et, «si près de l’amour», l’auteure se demande: «Où regarder encore?» La lecture des recueils de Martine Audet est exigeante, mais le lecteur se trouve emporté dans une réflexion profonde et intense que sert une grande rigueur formelle.

Les ruelles du souvenir
Le poète Guy Cloutier se passe de présentation — en dépit de son déplorable homonyme. Il anime depuis une quinzaine d’années «Les poètes de l’Amérique française», une série de lectures de poésie dont la feuille de route est impressionnante. Avec Ces bois qui pleurent, paru un peu plus tôt cette année, il donne un titre à la collection «Lieu» des éditions du Noroît, laquelle propose une rencontre entre un écrivain et un lieu particulier. En l’occurrence, il s’agira du quartier Limoilou à Québec, d’où le poète est originaire. Désormais établi dans la Haute-Ville, le poète jette un regard rétrospectif sur «le grand paysage éternel de l’enfance» et revisite «un monde qui était le sien». Le flot des réminiscences est pour lui l’occasion «de se laisser glisser dans l’espace du dedans» et de «dériver au gré de ce courant intérieur», lequel le mène à retrouver les odeurs, paysages, émotions et jeux de l’enfance.

Cependant, retournant à cette «vie d’arrière-cour avec ses rangées de poubelles ses hangars ses ruelles défoncées», le poète porte un regard critique sur un passé qui fut parfois oppressant. Il lui fallut ainsi «échapper à ces vies minuscules» et quitter le quartier à travers la première porte de sortie disponible: ce fut la littérature. Il s’agit donc d’un hommage assez mitigé, voire ironique, assez loin des représentations souvent romantiques associées au quartier, comme on peut en voir entre autres dans l’œuvre de Sylvain Lelièvre. Livré de manière ininterrompue, sans point ni virgule, ce discours poétique conjugue passé et présent dans la multitude des lieux désormais habités. Cette fragmentation de l’être se recompose par la poésie et témoigne ainsi de son unicité.

Des chemins tortueux
Pierre Demers, lui, a publié des poèmes «ironiques», «tordus», «éclatés» et «enragés»; en voici des «foudroyés» réunis sous le titre Coups de grisou. Le coup de grisou, c’est bien sûr cette explosion de gaz qui menace d’ensevelir les mineurs sous terre. Ici, c’est la métaphore du coup de foudre, cette explosion intérieure que Pierre Demers explore sous toutes ses coutures. Chaque texte reprend ce moment crucial, le décortique sous tous ses angles dans une pluralité de points de vue et de personnages, même si le poète puise largement dans ses expériences personnelles pour fournir la matière première de son livre, semblant avoir «un autre inventaire à faire». Une lecture plus légère donc, même si dans le domaine de l’amour, rien n’est simple!

La poésie de Pierre Demers se fait narrative, descriptive, attentive aux détails et aux aspérités des situations. Elle croque le moment, décrit l’attente et l’expectative propres à l’amour. Elle témoigne des «rites de reconnaissances», des «compromis», des souvenirs. Parfois, la trivialité des lieux et des signes viennent contredire la grandeur des sentiments: des acteurs de films surannés, un stationnement de cégep, voire «un chum saoul qui pisse dans un coin». Pour autant, Demers considère tout de manière égale, si l’on peut dire: les amours d’enfance, les filles trop belles, les filles oubliées, les moments de grâce comme les blessures de guerre. Le poète est ici un observateur — et quelquefois un voyeur — qui se distingue par l’acuité de son regard, qu’il livre non sans un certain humour.

Bibliographie :
Le ciel n’est qu’un détour à brûler. Les grands cimetières I, Martine Audet, L’Hexagone, 132 p. | 22,95$
Ces bois qui pleurent , Guy Cloutier, Le Noroît, 64 p. | 20,95$
Je demande pardon à l’espèce qui brille. Les grands cimetières II, Martine Audet, L’Hexagone, 68 p. | 16,95$
Coups de grisou, Pierre Demers, Trois-Pistoles, 80 p. | 18,95$

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