Une avalanche dans la canicule

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Quel choix ! Il n'y a jamais eu autant de polars sur les tablettes de nos librairies. C'est un phénomène mondial. Les Espagnols, les Russes, les Chinois, les Allemands et les Mexicains, pour ne nommer qu'eux, produisent des polars et en lisent de façon boulimique. Certains éditeurs profitent de la vague et publient n'importe quoi, mais les livres de qualité sont également au rendez-vous. En voici quelques-uns.

La menace jaune

Français, consultant en systèmes informatiques et spécialiste de la Chine, Jean-François Susbielle s’attaque avec succès à une spécialité américaine : le thriller géopolitique. La prémisse de La Morsure du dragon est solide : la vraie crainte des Américains est la montée en force de la Chine et celle-ci, encore très loin des États-Unis sur le plan des armes et de la technologie, possède néanmoins une arme redoutable, son immense marché. Et l’Empire du Milieu s’en sert pour frapper le cœur de l’économie étasunienne en remplaçant Windows par Linus sur l’ensemble de son territoire : un choc propre à ébranler l’économie américaine et qui, surtout, crée un précédent. Dirigés par un président faible entouré de « faucons », les Américains considèrent ce geste comme une agression et ripostent…

Ce scénario est rendu plausible par le talent de Susbielle. L’information sonne juste, les personnages sont convaincants, le récit qui nous entraîne au cœur des sociétés secrètes, à l’ombre du pouvoir chinois jusqu’au bureau ovale en passant par Langley, sans aucun temps mort. Enfin un ouvrage de politique-fiction où les Américains n’ont pas nécessairement le beau rôle ! Absolument captivant, rafraîchissant et… inquiétant !

L’argent fait la loi

Plus jeune chef de police des É.-U., à Versailles (prononcez « Ver-seiles »), petite ville touristique de la région de Boston, Ben Truman ne connaît des enquêtes policières que ce que son père, l’ancien chef, lui a raconté. L’une de ses tâches consiste à surveiller les chalets des riches estivants, et c’est lors d’une patrouille qu’il découvre le cadavre d’un procureur bostonien. La criminelle de Boston prend l’affaire en main, mais par courtoisie accepte la collaboration de ce jeune homme naïf. L’investigation conduit rapidement à un chef de gang d’un quartier défavorisé de Boston, mais Ben, qui rencontre le garçon, doute de sa culpabilité. Les recherches parallèles qu’il mène, aidé d’un ancien policier à la retraite, déplaisent souverainement aux enquêteurs de Boston, d’autant plus qu’il fait remonter à la surface le meurtre d’un autre représentant de la loi…

Premier roman de William Landay, Boston Requiem prend de la consistance au fil des pages et constitue une sorte d’initiation. Le jeune chef sera rapidement confronté aux réalités des enquêtes : mensonges, délations, collaboration entre la police et les criminels, arrangement de preuves, etc. Et derrière l’action, on retrouve en filigrane la grande question du roman noir américain : la fin justifie-t-elle les moyens ? Un excellent coup d’essai, qui se tient en équilibre entre le bien et le mal et dont la chute est époustouflante.

Clapier meurtrier

La naïveté n’est pas la marque de commerce de Larry Brown. Ses livres sont très noirs, rudes et tendres à la fois, et sans concessions. Dans L’Usine à lapins, son dernier roman (Brown est mort en 2004), ils nous raconte les destins croisés de trois personnages : Anjalée, prostituée qui rêve de s’en sortir mais qui, invariablement, tombe sur des salauds ; Arthur, septuagénaire obsédé par son impuissance face à sa femme, beaucoup plus jeune et qui le trompe ; et Domino, petit trafiquant pas très futé, au service d’un ponte de la mafia et qui livre de la viande aux lions d’une ménagerie. Après avoir frappé un cerf par malchance, Domino est entraîné dans une cavalcade sanglante. Arthur, lui, se résigne à se procurer une « pompe à bander » pour reconquérir sa femme et se prend d’amitié pour un jeune homme et son vieux bull-terrier (doux comme un agneau) parce qu’il aime, comme lui, les vieux westerns. Tandis qu’Anjalée trouve enfin un amoureux sincère… trop ! À travers ces destins, Brown nous distille des petites histoires rigolotes, comme celle du toutou du boss de Domino, qui déteste sa gardienne unijambiste au point d’enterrer sa jambe artificielle dans le jardin.

Larry Brown est un observateur sensible du genre humain et un orfèvre de la misère au quotidien. Il nous raconte des vies brisées, mais ses personnages gardent toujours un souffle d’espoir dans l’adversité. Du grand roman noir !

Point d’ébullition

Au fil de ses livres, Peter Robinson s’est imposé comme une valeur sûre du polar anglais. Son inspecteur Banks est méticuleux, humain et ses enquêtes, crédibles. Dans Ne jouez pas avec le feu, l’histoire démarre sur l’incendie criminel de deux péniches amarrées côte à côte et à bord desquelles on découvre deux morts. Qui était visé ? Tina la junkie ou l’artiste solitaire et médiocre, Tom ? Avec son assistante, le major Annie Cabbot, l’inspecteur Banks explore les deux possibilités jusqu’à ce qu’un troisième et un
quatrième meurtre se produisent selon le même modus operandi. L’incendiaire est intelligent, bien renseigné sur le déroulement de l’enquête, et ne fait pas de quartier…

Robinson ne fait pas des thrillers haletants à l’américaine. Mais ses enquêtes sont tellement bien ficelées qu’on s’identifie à son inspecteur et qu’on cherche avec lui. Un livre envoûtant et captivant !

Drôle de dames

Hillston est une ville prospère et conformiste de Caroline du Nord. Lorsqu’une femme au corps mutilé et portant un t-shirt Guess est retrouvée dans ce qui ressemble à une mise en scène de martyre chrétien,
l’émoi s’empare des autorités. C’est que la victime semble être la populaire rock-star Mavis Mahar, et que le puissant gouverneur de l’État, Andy Bookside, est la dernière personne à l’avoir rencontrée. L’inspecteur Justin Saville, ébranlé par le deuil de son fils et le départ de sa femme, hérite de cette enquête très mal partie, la scène du crime ayant été contaminée par les différents corps de police de l’État. Il s’avère que le cadavre est un sosie de la belle Mavis portant les vêtements et bijoux de la star et qu’un crime semblable a été commis quelques années auparavant. La vraie Mavis n’est pas insensible aux charmes de l’aristocrate déchu et triste qu’est l’inspecteur, ce qui n’est pas pour simplifier l’affaire. Sans compter qu’un troisième assassinat consolide la thèse du meurtrier en série !

Michael Malone, qui est scénariste pour la télé, sait construire des histoires aux intrigues multiples. De nouveau, dans First Lady, ses nombreux personnages sont convaincants, et il sait mieux que quiconque gratter le vernis des gens de pouvoir.

Bibliographie :
La Morsure du dragon, Jean-François Susbielle, First, 480 p., 29,95 $
Boston Requiem, William Landay, Éditions Robert Laffont, 402 p., 27,95 $
L’Usine à lapins, Larry Brown, Gallimard, 470 p., 43,50 $
Ne jouez pas avec le feu, Peter Robinson, Albin Michel, 498 p., 29,95 $
First Lady, Michael Malone, Seuil, coll. Policiers, 463 p., 39,95 $

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