Thrillers à l’américaine

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Pourquoi lit-on des romans policiers? Vaste question à laquelle il y a probablement autant de réponses que de lecteurs. Exception faite d’une minorité de lecteurs « sérieux » qui défendront bec et ongles les qualités littéraires de certains auteurs triés sur le volet (de préférence des écrivains de roman noir), la grande majorité d’entre eux prononceront ces mots honnis dans les cercles intellectuels : pour se distraire! Pour l’action, pour le suspense, la tension dramatique, bref pour le simple plaisir de la chose! Et dans ce domaine, force est de reconnaître que les auteurs de thrillers américains sont les maîtres en la matière, de plus en plus « imités », d’ailleurs, par une cohorte d’écrivains français (Franck Thilliez, Alexis Aubenque, Maxime Chattam, et autres Caryl Férey) qui ont compris quelles étaient les vraies recettes du succès populaire.

J’ai déjà écrit que James Patterson, un as du roman de gare, était « un auteur qui écrit plus vite que son ombre »! Véritable machine à produire (dont on oublie souvent de mentionner les nombreux coauteurs), il publie plusieurs titres chaque année. Avec 270 millions de livres vendus, il est, paraît-il, l’auteur de thrillers le plus lu au monde et, après avoir dévoré Tapis rouge (écrit avec Marshall Karp), on comprend mieux les raisons d’une telle réussite.

Avec ce thriller mené à un train d’enfer, Patterson amorce une nouvelle série dont le sympathique héros est Zach Jordan, flic émérite, membre d’une unité d’élite de la police de New York, la très sélecte NYPD Red, chargée de protéger les personnalités et les célébrités du cinéma qui participent au festival Hollywood sur Hudson. Zach est un enquêteur d’expérience, un sportif dynamique, beau gosse de surcroît, qui doit travailler en équipe avec la belle et sensuelle Kylie MacDonald, une nouvelle partenaire qui est aussi une ex-flamme dont il est toujours amoureux, ce qui provoque une situation amusante, riche en tension érotique!

Dès l’ouverture du festival, les choses se gâtent. Un producteur mondialement connu meurt empoisonné, puis un acteur vedette est assassiné en plein tournage. Au fil des heures, la liste de cadavres s’allonge alors qu’un mystérieux tueur, baptisé le Caméléon, planifie soigneusement ses meurtres, avec une minutie diabolique qui rappelle un scénario de blockbuster. Scénariste frustré, il a décidé de régler ses comptes en tournant son propre film avec des balles réelles et de vrais cadavres, ceux des gens de l’industrie qui ont refusé tous ses projets de films! S’engage alors une chasse à l’homme haletante où Patterson, en vieux routier du genre, déploie tous ses talents machiavéliques de conteur expert. Certes, une fois la lecture terminée, on oubliera tout de cette histoire rocambolesque et spectaculaire, avec ses nombreux rebondissements et coups de théâtre, mais avant cela, une fois embarqué dans l’histoire, on se sera amusé ferme avec ce Zach Jordan, ses affaires de cœur, et son redoutable adversaire, un fêlé de première doté d’une imagination très fertile qui ne lésine pas sur le nombre de cadavres. Idéal pour meubler une soirée d’hiver!

Début coup-de-poing aussi dans Le confesseur, de Ted Dekker, dont l’éditeur nous assure qu’il aurait cinq millions de lecteurs. Kevin, le héros de cette étrange histoire, est au volant de sa voiture quand il reçoit un coup de fil sur son portable. Une voix inconnue lui dit : « Confesse tes péchés. Sinon, dans trois minutes tu mourras! » Kevin ignore de quoi parle son interlocuteur, mais arrête sa voiture et a juste le temps de s’éloigner avant que celle-ci n’explose. Ça n’est là que le début de son cauchemar. Il reçoit d’autres appels de son mystérieux « confesseur » qui n’hésite pas à mettre ses menaces à exécution avec une série d’explosions qui sèment la terreur dans la ville. Baptisé « le tueur aux devinettes », le bourreau de Kevin, un type obsédé par le chiffre trois, est traqué par toutes les polices du pays. Mais que doit confesser Kevin au juste? Lui-même semble l’ignorer, mais au fur et à mesure que l’enquête progresse et que l’étau se resserre, on se rend compte qu’il dissimule bien des secrets. Toute cette première partie est construite selon les règles de l’art, avec un suspense constant et un mystère irritant dont le lecteur voudrait bien connaître la vraie nature. Mais quand l’auteur commence à lever le voile sur le passé de Kevin, l’identité du tueur et ses motivations, les choses se gâtent. Soit vous adhérez à ce qui se passe ensuite (il nous est impossible de révéler quoi que ce soit…), soit vous refermez le livre avec une impression plus que mitigée. À chaque lecteur de juger! Kevin est un séminariste obnubilé par le problème du bien et du mal, comme semble l’être ce Ted Dekker dont j’ignorais tout jusqu’à ce que je découvre qu’il écrivait des « christian thrillers », des polars à « messages spirituels » avec des thématiques religieuses et théologiques, le tout dans un enrobage de thriller psychologique.

Les ouvrages sur le roman policier étant plutôt rares, je m’en voudrais de passer sous silence Polar. Le grand panorama de la littérature noire, de Clémentine Thiebault et Mikaël Demets. En plus de proposer une sorte d’historique de la littérature policière, les auteurs en explorent les différentes facettes et thématiques comme le détective privé, le crime parfait, le serial killer, les sous-genres comme le roman historique, le roman à énigme, ou celui de procédure policière, etc. Chaque chapitre offre des portraits ou entrevues avec des écrivains. Il y a bien sûr les incontournables comme Poe, Agatha Christie, Hammett, Chandler et autres icônes du genre, mais on nous présente aussi des auteurs plus « en marge » comme David Vann, Donald Ray Pollock, Jerry Stahl, Marin Ledun et autres Francesco de Filippo. Seuls bémols : les auteurs ont une approche idéologique qui privilégie nettement le roman noir et les marges du genre. Quant à la courte préface, un peu vulgaire, de Caryl Férey, elle est inutile et dépare ce bel ensemble. Avec ses nombreuses illustrations, ce magnifique album grand format est un bel objet qui mérite de figurer en bonne place sur les rayons de la bibliothèque de tout amateur éclairé.

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