Scènes de crimes africaines

8
Publicité

Depuis plus d’un siècle, l’Afrique noire dite subsaharienne ne cesse de faire la manchette, et cela, rarement pour de bonnes raisons. Dans l’actualité immédiate, les islamistes sèment terreur et chaos au Mali, le Nigéria est secoué par de nombreux attentats terroristes, le Soudan plonge peu à peu dans la guerre civile, les côtes de la Somalie sont infestées de pirates, on massacre encore allègrement au Congo, etc. Ce continent de tous les malheurs (génocides, coups d’état, guerres civiles, terrorisme, dictatures sanglantes, corruption, détournement de richesses naturelles, braconnage, diamants de sang, maladies tropicales et sida) est un terreau fertile pour les auteurs de thrillers et de romans policiers. C’est donc sans surprise que l’on a vu apparaître au catalogue de quelques collections des auteurs d’origine africaine comme Deon Meyer, Michael Stanley, Malla Nunn, Louis-Ferdinand Despreez, Wessel Ebersohn, Moussa Konate et des dizaines d’autres, et que des non-africains comme John le Carré, Caryl Ferey, Henning Mankell ont publié plusieurs romans policiers ou d’espionnage dont les scènes de crime se trouvent en Afrique du Sud, au Congo, au Bostwana ou ailleurs sur le vaste continent.

Vamba Sherif est né à Kolahun dans le nord du Libéria en 1973. Borderland est son troisième roman, mais le premier à être traduit en français. C’est une rencontre inopinée avec Charles Taylor (condamné à cinquante ans de prison pour crimes de guerre), en 2000, qui lui a inspiré ce roman policier qui traite, entre autres, des relations de pouvoir. L’action se situe dans la petite ville frontalière de Wologozi. William Mawolo a été envoyé par le président en personne pour enquêter sur la disparition mystérieuse du chef coutumier local (un dirigeant non élu, indépendant de l’administration publique). À peine arrivé, Mawolo est plongé dans une ambiance mystérieuse et inhospitalière : les habitants se méfient de l’homme venu de la capitale, refusent de collaborer et font preuve d’hostilité. Au fur et à mesure que son enquête progresse, l’atmosphère devient plus étouffante, il est victime d’hallucinations et découvre, à son corps défendant que, sur cette terre d’Afrique, modernité et tradition ne font pas toujours bon ménage et que la magie et la sorcellerie jouent encore un rôle essentiel dans la vie quotidienne. Dans ce polar atypique, le lecteur a parfois l’impression d’être égaré dans une réalité parallèle, teintée de réalisme magique, qui échappe totalement à la compréhension de notre mentalité occidentale. Une expérience de lecture pour le moins surprenante…

Malla Nunn est née au Swaziland, en Afrique du Sud. Elle apparaît sur la scène du polar international avec un premier roman, Justice dans un pays de rêve, dont l’action se passe dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, au début des années cinquante. Il met en scène l’inspecteur Emmanuel Cooper, un vétéran anglais de la Deuxième Guerre mondiale qui a émigré à Johannesburg et qui a beaucoup de mal à s’adapter aux mœurs et aux lois de ce pays rongé par le racisme. Sa première enquête (le meurtre d’un capitaine de police blanc) lui laisse de graves séquelles physiques et psychologiques et c’est donc partiellement amoché qu’on le retrouve dans Le sang et la poussière. Chargé de la surveillance des docks, à Durban, il est mêlé bien malgré lui, au meurtre brutal d’un jeune garçon. Deux assassinats semblables font de lui le suspect numéro un et, pour se disculper, il est obligé de mener sa propre enquête. Talonné par les services secrets sud-africains, il plonge alors dans l’univers trouble de la pègre de Durban pour tenter de comprendre le véritable enjeu politique de l’affaire. En plus d’être un bon roman policier, ce livre nous propose un tableau dévastateur d’un pays divisé par les lois ségrégationnistes qui régissent les moindres faits et gestes du quotidien. Cette intrigue est un voyage périlleux au cœur des ténèbres d’une culture raciste qui provoque chez le lecteur un fort sentiment de révolte et de répulsion. Malla Nunn est certainement un auteur à suivre. Une troisième enquête d’Emmanuel Cooper, encore inédite en français est parue en avril avec deux titres : Blessed are the Dead, pour la version imprimée, et Silent Valley pour le format Kindle.

Roger Smith est né à Johannesburg. Après le remarquable Mélanges de sang, un thriller noir d’une redoutable efficacité, il nous propose Blondie et la mort, le polar le plus violent, l’histoire la plus sanglante à paraître depuis des lustres. Dans le décor somptueux du Cap se déroule un ballet d’une brutalité fascinante dont les acteurs sont tous des réprouvés, des psychopathes, des paumés et des violents. Certains épisodes sont particulièrement éprouvants et l’accumulation des scènes de meurtre, d’éviscérations, de torture, et autres sévices finissent par provoquer un sentiment de dégoût. Les mésaventures de Billy Afrika, ex-flic recyclé en gardien de sécurité, de Roxy Palmer, ex-top modèle et meurtrière de son mari (un bon à rien brutal et détestable), et de l’hallucinant Piper, un psychopathe qui ne veut vivre que dans la sécurité de la prison où il est le roi, sont racontées à un rythme d’enfer, avec un suspense constant.

Autre safari dans les bas-fonds africains :le thriller Les fantômes du Delta de l’auteur français Aurélien Molas situe son intrigue pleine d’action et de multiples rebondissements dans le delta du Niger, une région maudite qui se caractérise par ses marées noires dévastatrices, des paysans réduits à la famine, des guérilleros traqués par des militaires sanguinaires et des multinationales qui exploitent de façon éhontée le pétrole en détruisant l’environnement. C’est dans ce décor cauchemardesque (mais réaliste) que deux membres de Médecins sans frontières vont tenter de protéger une petite fille étrange dont l’ADN a des propriétés particulières, susceptibles de changer le monde. Passionnant mélange de roman d’aventures exotiques et de spéculation scientifique, Les fantômes du Delta dénonce au passage les magouilles de la Françafrique, vilipende la corruption des élites africaines et montre du doigt les catastrophes écologiques provoquées par des multinationales sans scrupules. Une odyssée pleine de violence et de fureur…

Publicité