Quelques avatars du polar historique

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Quoique souvent snobé par les amateurs purs et durs qui ne jurent que par le récit d'enquête classique ou le roman noir, le polar historique a gagné ses lettres de noblesse au cours des dix dernières années, au point où il est devenu une des branches les plus populaires du genre. Le principe en est fort simple: il s'agit de transposer l'énigme criminelle ou l'action du thriller dans un passé plus ou moins lointain, dans une intrigue où se côtoient personnages réels et fictifs, événements historiques et imaginaires.

Par exemple, l’écrivain américain Tom Rob Smith situe l’action de Kolyma en Union soviétique, à l’époque de Khroutchev, après la mort de Staline. Nous y retrouvons Leo Demidov (héros d’Enfant 44), l’ex-agent de la police secrète, maintenant repenti, qui dirige un département de criminologie. Quand Khroutchev entreprend une surprenante politique de «déstalinisation» en dénonçant les méthodes innommables des tortionnaires de l’État, l’heure des règlements de comptes a sonné. Les anciennes victimes exigent des réparations et Demidov devient la cible d’une femme ivre de vengeance dont il a envoyé le mari dans un camp de travail. Quand sa Némésis enlève sa fille adoptive, Demidov n’a d’autre choix que de plonger dans l’enfer du goulag de la Kolyma, où il a exilé nombre d’ennemis du régime. Aussi efficace et glaçant que le terrible Enfant 44, Kolyma illustre une tranche d’histoire bien saignante. Ce thriller, qui prend aux tripes, est un voyage au bout de la nuit dans un univers de paranoïa totale, de crimes horribles et de règlements de comptes, de magouilles et de tromperies, qui culmine avec une description hallucinante de l’insurrection hongroise de 1956. C’est là que le drame va se dénouer, dans un climat d’apocalypse, sous le feu des chars soviétiques venus écraser la révolte! Un peu «hollywoodien», certes (le héros a parfois beaucoup de chance!), mais difficile à lâcher!

C’est en Angleterre, en juin 1940, que Laura Wilson a situé l’intrigue de La guerre de Stratton, une œuvre hybride qui mélange habilement le récit d’enquête et le thriller d’espionnage. Alors que les hordes nazies menacent à tout moment d’envahir le pays, que Londres vit dans la terreur des raids dévastateurs de la Luftwaffe, l’inspecteur Stratton enquête sur le suicide suspect, par défenestration, d’une ancienne star du cinéma muet. Par ailleurs, dans une intrigue parallèle, la belle Diana Cathrop est recrutée par les services secrets pour infiltrer un groupuscule néo-nazi. Il faudra peu de temps à Stratton et à Cathrop pour comprendre que leurs affaires respectives ont une source commune, que les intérêts des services secrets et de la pègre sont parfois liés. Même le puissant Sir Neville Apse, le supérieur de Diana, n’est pas au-dessus de tout soupçon. Plus les détectives interrogent de témoins, plus l’affaire prend une tournure sordide. Le contexte général de ce roman au rythme un peu lent ainsi que certains des thèmes abordés font songer à Foyle’s War, une brillante série policière britannique signée Anthny Horowitz (disponible en DVD, mais encore inédite en français), dont l’action se passe dans le sud de l’Angleterre pendant la Seconde Guerre mondiale et mettant en scène Michael Kitchen. Pour faire leur métier dans le chaos ambiant, Foyle et Stratton doivent composer avec les mêmes problèmes: marché noir, espionnite aiguë, haine de l’étranger, rationnement, bombardements et ingérence continuelle du politique dans les affaires criminelles courantes. Le roman de LauraWilson et le feuilleton d’Horowitz sont inspirés par des faits réels. La première a-t-elle été influencée par cette série, très populaire en Grande-Bretagne? Dans ce cas précis, ça n’est pas exclu…

Avec L’officier polonais, quatrième volet d’une série de romans d’espionnage, Alan Furst poursuit son histoire de l’Europe des années 30 et 40, dont il dévoile les coulisses. Le récit commence en Pologne, en septembre 1939. Il met en scène le capitaine Alexandre de Milja, un aristocrate, cartographe de formation, qui, du jour en lendemain, se retrouve dans la peau d’un agent secret. Comme ses compatriotes, il doit lutter sur deux fronts: la Wehrmacht à l’ouest, et les Soviétiques à l’est. Véritable caméléon, empruntant de multiples identités, de Milja enchaîne les faits d’armes. De Varsovie à Londres jusqu’à la frontière russe, il participe à des opérations secrètes au cours desquelles il perd la plupart de ses amis. Résigné, il attend son tour… À la fois roman de guerre, récit d’espionnage et thriller, L’officier polonais évoque des événements peu connus du dernier conflit mondial. Le ton est sobre, le style, efficace, presque journalistique, la narration, fluide. Sans temps mort, l’intrigue est passionnante pour qui s’intéresse à ces événements tragiques qui ont bouleversé l’Europe.

Les amateurs de polars historiques ont maintenant leur «bible»: Le roman policier historique, de Jean-Christophe Sarrot et Laurent Broche, est un volume fort intéressant, solidement documenté, qui explore le genre sous toutes ces facettes: sa définition, son histoire, sa thématique, les grandes époques, ses personnages, sa popularité et ses détracteurs, etc. Avec, en prime, une liste de 125 polars historiques incontournables, parmi lesquels on notera Le prix du mensonge de Maxime Houde (Alire), un polar québécois (la chose est assez rare pour qu’on la mentionne!). Ces deux auteurs savent vulgariser des notions complexes sans jamais succomber à la tentation du jargon. Ce livre remarquable se lit comme un roman! Par ailleurs, on trouvera un complément d’information dans un article de Mario Tessier, «Le détective en toge… et antique», dans le numéro d’hiver (no 33) de la revue Alibis. On y découvre la même thématique sous un angle plus restreint: le polar dont l’action se passe dans la lointaine Antiquité (empire romain, Grèce antique, Égypte, etc.). Comme quoi lire un polar historique, c’est aussi une manière agréable de réviser ses cours d’histoire!

Bibliographie :
Kolyma, Tom Rob Smith, Belfond, 404 p. | 29,95$
L’officier polonais, Alan Furst, De l’Olivier, 350 p. | 39,95$
La guerre de Stratton, Laura Wilson, Albin Michel, 524 p. | 36,95$
Le roman policier historique, Jean-Christophe Sarrot et Laurent Broche, Nouveau Monde, 494 p. |45,95$

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