Contrairement à ce qu’affirment parfois ses détracteurs qui dénoncent son manque d’originalité et ses thématiques redondantes, le roman policier actuel se caractérise par une incroyable diversité. Cette création polymorphe d’une grande richesse stylistique et narrative permet aux auteurs contemporains d’exercer dans un vaste registre de colorations, de thèmes et d’ambiances et d’attirer un auditoire de plus en plus large et une popularité de plus en plus grande.

S’il est vrai que les praticiens du genre abusent parfois de certains cas de figures éculés, de situations convenues (traque d’un tueur en série, disparitions d’enfants, vengeance, guerre de gangs, etc.), ou de personnages d’enquêteurs stéréotypés (flics à problèmes, détectives privés alcooliques), thèmes pourtant très populaires auprès du grand public avide de divertissement, tout l’art du bon « polardeux » consiste justement à tenter de renouveler les clichés du genre pour en tirer des œuvres originales et passionnantes. Certes, il serait vain de nier que le polar abonde en sous-produits commerciaux stéréotypés, mais chaque saison apporte aussi son lot de parutions nouvelles dignes de plaire aux lecteurs les plus exigeants.

Paul Colize est né à Bruxelles, d’un père belge et d’une mère polonaise. Ses polars, qui flirtent souvent avec la littérature générale, ont été récompensés par de nombreuses distinctions. Son dernier opus, Toute la violence des hommes, est à la fois un roman noir, un drame psychologique et un récit historique dont l’intrigue se déroule en partie en 1991, durant le siège de Vukovar, au début de la guerre d’indépendance de la Croatie. L’intrigue commence par un cas de figure des plus classiques : une jeune femme est retrouvée sans vie lardée de coups de couteau, dans son appartement de la banlieue de Bruxelles. Sur la scène du crime, tous les indices convergent vers le jeune Nikola Stankovic, dernière personne que la victime a appelée avant sa mort.

Malgré ses airs d’enfant perdu, Niko est un graffeur de génie, que l’on surnomme le Funambule et qui émaille les rues de Bruxelles de fresques ultra-violentes inspirées de grandes toiles de maîtres et semées d’indices étranges qui sont autant de messages destinés aux enquêteurs. Mais muré dans le silence, le jeune homme nie tout en bloc et ne répète plus qu’une seule phrase : c’est pas moi. Placé dans un centre spécialisé pour une évaluation de son état mental, il attire l’attention de la directrice, la sévère et formidable Pauline Derval, ainsi que celle de Philippe Larivière, l’avocat chargé de sa défense. Ces deux personnages clés doutent de la culpabilité du mystérieux jeune artiste réfugié dans son silence.

Quelques chapitres alternatifs nous plongent dans les horreurs du siège de Vukovar, période sombre au cours de laquelle Nikola, qui n’a que 8 ans, voit disparaître ses parents dans des conditions atroces.

Voilà une histoire particulièrement touchante qui pourra aussi recevoir les éloges d’un lectorat qui se situe en dehors du cercle des amateurs de polars purs et durs, car le récit de ce jeune artiste tourmenté, traumatisé dès son plus jeune âge et accusé de meurtre est aussi celui de tout un pays ravagé par une guerre fratricide.

Le crime en vase clos, une des thématiques les plus anciennes et les plus populaires, apparaît dès 1841 dans Double assassinat dans la rue Morgue, texte fondateur d’Edgar Allan Poe. Depuis, il a fait les choux gras de nombreux amateurs d’histoires de crimes impossibles ou de drames à huis clos. À cache-cache, de M. J. Arlidge, sixième opus de la série des enquêtes d’Helen Grace, « la meilleure enquêtrice d’Angleterre », en est un bon exemple. L’essentiel de l’intrigue se déroule dans la sinistre prison pour femmes de Holloway. À la suite d’un coup monté, Helen Grace a été accusée d’un triple meurtre. Séquestrée aux côtés de criminelles endurcies qu’elle a fait enfermer et qui se rappellent à son bon souvenir de manière brutale, elle est aussi malmenée par quelques gardiens sadiques et corrompus. Tout en luttant pour sa survie, elle enquête à ses risques et périls sur un mystérieux assassin qui tue et mutile des détenues. Quand le criminel frappe une troisième fois, la prison est plongée dans le chaos. Pendant ce temps, en dehors des murs de l’institution, son amie et collègue, l’inspectrice Charlie Brooks, se démène pour trouver des preuves de son innocence et mettre la main sur le vrai coupable. Le temps file, alors que se précise la menace… L’écrivain britannique M. J. Arlidge travaille pour la télévision britannique depuis quinze ans et son intérêt pour les séries policières se reflète dans le découpage serré de ce polar déjanté mené au rythme époustouflant d’un thriller à haut suspense.

Romancier et historien, Shelby Foote est un auteur américain surtout connu pour sa monumentale histoire de la guerre de Sécession. Sans être un spécialiste de ce genre, il a aussi écrit September, September, un captivant roman noir dont l’action se passe en septembre 1957, pendant la crise raciale de Little Rock. Cette année-là, le gouverneur de l’Arkansas avait bravé la Constitution envers et contre tous et avait défié les ordres d’Eisenhower en interdisant à neuf élèves noirs l’entrée de leur collège.

Pendant que les troubles raciaux font rage en Arkansas, trois apprentis gangsters blancs préparent un mauvais coup à Memphis, au Tennessee. Podjo Harris (dans la quarantaine), un joueur compulsif et éternel fauché, Rufus Hutton, un jeune écervelé au comportement imprévisible et obsédé sexuel, et son amie plus âgée Reeny Perdew, une belle aguicheuse, ont décidé d’enlever un jeune garçon issu d’une famille aisée de la bourgeoise noire. Leur but : toucher une grosse rançon!

Mais comme l’écrivait il y a longtemps le poète Robert Burns : « Les plans les mieux conçus des souris et des hommes souvent ne se réalisent pas ». Et pour cause… car l’adage populaire dit aussi que « Deux coqs vivaient en paix, quand une poule survint »…! La cohabitation forcée des trois malfrats ne s’avère pas de tout repos et l’enlèvement du gamin prend soudain une tournure inattendue.

Superbement écrit (excellente traduction de Jane Fillion, révisée par Marie-Caroline Aubert), ce récit choral au rythme lent, mais sans temps morts est une œuvre littéraire à la fois exigeante, captivante, et originale.

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