Premiers pas dans le crime

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Une des grandes joies de l'amateur de romans policiers, c'est de découvrir de nouveaux talents. Le moment est propice car, depuis plusieurs mois, les éditeurs rivalisent d'astuce pour tenter de dénicher le nouveau Michael Connelly ou le futur Henning Mankell. Très régulièrement, des noms encore inconnus viennent s'ajouter à la liste interminable des écrivains qui viennent de publier un premier polar. En voici quelques-uns qui ne devraient pas vous décevoir...

Comme son nom l’indique, la maison d’édition Nouveaux auteurs s’est donné pour vocation de publier les premières œuvres d’écrivains inconnus, dont les manuscrits sont plébiscités par un comité de lecture amateur. Une manière de procéder peut-être originale, mais qui comporte quand même quelques risques dans la mesure où la vox populi a des compétences limitées, notamment dans le domaine du style et des techniques littéraires, qui nécessitent toujours un vrai travail d’édition. Mais bon… Avec un peu de chance, ça peut aussi donner de très
bons résultats.

Par exemple, De sinistre mémoire est un polar tout à fait passionnant de Jacques Saussey, un ouvrier maquettiste et dessinateur qui a plus d’un talent. L’action de ce thriller se déroule à Paris, où deux jeunes gens ont été tués par injection d’héroïne pure. Peu de temps après, deux clochards sont assassinés dans les sous-sols de la gare de Lyon. Responsables de l’enquête, le capitaine Daniel Magne et la recrue Lisa Heslin vont découvrir que l’origine de ces meurtres remonte à quelques épisodes peu glorieux de la Seconde Guerre mondiale et de la collaboration, et que le coupable est peut-être aussi une victime. De sinistre mémoire mêle adroitement le polar historique et le roman d’enquête, avec un suspense prenant que l’auteur entretient tout au long des 400 pages.

Nouveau venu dans la filière québécoise, André K. Baby a entrepris une série intitulée «Le sang de la chimère», dont le premier volet, La danse des évêques, est paru dans la nouvelle collection «Coulée noire» des éditions Marcel Broquet. Ce roman est un thriller à l’américaine, rondement mené, qui commence de manière spectaculaire: le meurtre rituel de l’archevêque de Lyon, trouvé crucifié, ligoté au câble d’une télébenne de l’Alpin Express. L’inspecteur Thierry Dulac (Interpol) et la jeune mythologue américaine Karen Dawson font équipe et s’engagent dans un labyrinthe de fausses pistes qui les mèneront à Paris, Rome, Londres, Moscou et sur une île paradisiaque des Antilles. Ce qui, au départ, est un polar d’enquête assez classique, prend vite des allures de thriller de politique-fiction, avec en toile de fond les finances (louches) du Vatican et le terrorisme international. Un récit haletant, découpé en chapitres plutôt brefs, ponctués de dialogues nerveux, avec un suspense constant… Un excellent début de série! André K. Baby rédige déjà la suite, intitulée Le pape juif, qui pourra se lire indépendamment du premier.

Dans cette même collection, Andrée Dahan, qui a déjà à son actif quatre romans, un recueil de poèmes et diverses nouvelles, se lance dans le noir avec Le coût de la beauté. Un crime atroce a été commis dans un établissement de soins de santé sur l’île Roussin à Laval-sur-le-Lac: une jeune femme a été étranglée. Le meurtrier l’a aussi éventrée pour prélever certains organes. Sale affaire pour le sergent enquêteur Pierre Lacombe, du Bureau des Enquêtes criminelles et son équipe, car les meurtres se multiplient. La piste les mènera dans le monde peu connu de la cosmétologie: les meurtres ont un lien avec une crème de beauté révolutionnaire contenant des cellules souches embryonnaires et dont les bénéfices s’élèvent à des millions de dollars, avec en prime un trafic d’organes peu ragoûtant et des tueurs sans scrupules. Andrée Dahan maîtrise parfaitement les rouages de cette énigme policière, servie par une écriture soignée. À la fois instructif et divertissant, ce premier polar est tout à fait recommandable.

La nouvelle coqueluche du polar scandinave s’appelle Inger Frimansson. Son premier récit noir, Bonne nuit, mon amour, s’est vendu à plus de 150 000 exemplaires, en plus de remporter le prix du meilleur polar suédois. Étrange histoire que celle de Justine Dalvik, la quarantaine, qui vit retirée dans sa maison et autour de qui les cadavres s’accumulent. Pourquoi le sort s’acharne-t-il sur elle? C’est ce que l’on découvre dans ce suspense très sombre, un peu dans la tradition des récits angoissants de Ruth Rendell, Joyce Carol Oates ou Morag Joss, spécialistes de la terreur psychologique et des personnages plutôt louches, même s’ils ont souvent toutes les apparences de la normalité. Un bon récit qui donne froid dans le dos.

Dans Le testament de Jaffa, le Canadien d’origine israélienne Avner Mandelman nous plonge au cœur du conflit palestinien, avec un thriller de politique-fiction mâtiné de polar historique. C’est l’histoire de David Starkman, un ancien spécialiste des sales jobs du Mossad, qui a quitté Israël pour s’établir au Canada. Quand son père, un héros de l’Indépendance, est assassiné, il est obligé de revenir au pays où l’attend un étrange testament avec une clause suspensive: il doit monter une pièce de théâtre qui a déjà fait scandale en 1946, avant la création de l’État et les grands affrontements entre Juifs et Arabes. Cette pièce, qui prône l’amitié entre les deux peuples, irrite les extrémistes des deux camps. Malgré les menaces, Starkman décide d’aller de l’avant… Pour ce faire, il devra plonger dans la «préhistoire», ces années 30 et 40 où tout s’est joué. Avec Le testament de Jaffa, Avner Mandelman, qui a servi dans l’armée de l’air israélienne, nous propose un thriller étrangement actuel, qui jette quelques lueurs sur un conflit d’une extrême complexité et dont on ne voit guère l’issue.

Et pour terminer ce bref panorama, voici quelques autres titres de néophytes, parus récemment: Un employé modèle (Paul Cleave), Avis de décès (Todd Ritter), Dites-moi qu’elle est vivante (Anne de Pasquale), United Victims (Elsebeth Egholm), Mémoires gelées (Camilla Ceder), Dans l’ombre de la ville (James Conan), etc. Bref, dans le monde du livre, le taux de criminalité est encore élevé!

Bibliographie :
De sinistre mémoire, Jacques Saussey, Nouveaux auteurs, 394 p. | 35,95$
La danse des évêques, André K. Baby, Marcel Broquet éditeur, 404 p. | 29,95$
Le coût de la beauté, Andrée Dahan, Marcel Broquet éditeur, 314 p. | 27,95$
Bonne nuit, mon amour, Inger Frimansson, First, 394 p. | 36,95$
Le testament de Jaffa, Avner Mandelman, Liana Lévi, 396 p. | 34,95$

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