Polars québécois : les auteurs féminins s’affichent!

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Quel est l’auteur de polars le plus connu et le plus vendu dans le monde, toutes nationalités confondues? Non, ça n’est pas Conan Doyle, personnage plutôt effacé, parfois méconnu et souvent éclipsé, ou presque, par son personnage de Sherlock Holmes, le plus connu des limiers du genre. Non, l’auteur le plus connu, c’est Agatha Christie, l’incontestable reine du crime jamais détrônée et dont on fête cette année le 125e anniversaire de naissance.

C’est bien une femme qui domine, et de loin, le palmarès d’un genre littéraire qui, selon toute apparence (trompeuse), semble réservé aux hommes par sa thématique violente : meurtres en série, cambriolages, viols, arnaques, trafics, ambiances glauques, et autres horreurs. Et pourtant… Exception faite des créateurs du genre comme Edgar Allan Poe, Arthur Conan Doyle, Wilkie Collins, Gaston Leroux et compagnie, très tôt les femmes ont rapidement investi le domaine en grand nombre, dans tous les pays, pour y occuper une place importante, sauf peut-être au Québec, où il faudra attendre l’arrivée de Chrystine Brouillet, au début des années 80, pour qu’un premier auteur féminin s’impose vraiment, et cela, de manière décisive. Même si elle est parfois talonnée par Jean-Jacques Pelletier, Martin Michaud ou Patrick Senécal, elle reste en tête des palmarès des meilleures ventes. Pour la petite histoire, signalons que si le premier « vrai » roman policier québécois, Le trésor de Bigot d’Alexandre Huot, date de 1926, on trouve déjà des éléments criminels (enlèvements, séquestration, meurtres, chantage, etc.) dans les œuvres d’une écrivaine, Mme A. B. Lacerte, notamment dans Le spectre du ravin (1924), L’ombre du beffroi (1925) ou Le bracelet de fer (1926).

Qu’en est-il aujourd’hui, alors que le roman policier québécois a enfin droit de cité, qu’il intéresse de plus en plus d’éditeurs et que se multiplient les collections? Dans deux anthologies dirigées par Richard Migneault, recueils qui totalisent trente-trois nouvelles, treize textes, et non les moindres, ont été écrits par des femmes. Par exemple, au sommaire de Crimes à la librairie (Druide, 2014), on trouve les noms de Chrystine Brouillet, Ariane Gélinas, Martine Latulippe, Genevière Lefebvre, Johanne Seymour et Florence Meney, alors que dans Crimes à la bibliothèque (2015) apparaissent les signatures de Roxanne Bouchard, Sylvie-Catherine de Vailly, Anna Raymonde Gazaille, Jacqueline Landry, Maureen Martineau, Francine Ruel et Maryse Rouy. Et aux écrivaines présentes dans ces recueils s’ajoutent sans cesse de nouvelles venues, bien décidées à se tailler elles aussi une place dans le roman policier d’ici. Quelques exemples…

Trois fois la bête de Zhanie Roy est un roman noir atypique dont l’action se passe dans un village perdu du Québec durant l’été de 1935. La canicule bat son plein, quand des enfants sont retrouvés morts, éventrés près de la rivière. Le mystère plane sur ces morts atroces, car nul ne sait qui en est le responsable. Pour certains villageois, ce sont les loups, en recherche de nourriture, et qui ont été aperçus rôdant autour du village. Mais pour d’autres, il s’agit d’un prédateur bien plus dangereux, un être assoiffé de sang qui menace de frapper encore. L’auteur rend très bien l’ambiance de peur et de paranoïa qui règne dans ce bled perdu où il n’y a pas de forces policières et où tout le monde soupçonne tout le monde, alors qu’éclate en plus une querelle à propos du nouveau cimetière, querelle violente qui va opposer quelques habitants au curé. Le dénouement-surprise, totalement amoral, de ce roman noir, qui flirte par moments avec le fantastique, en surprendra plus d’un. Comme l’affirme l’éditeur, Trois fois la bête est une fable qui se situe entre la comptine et le refrain des morts. Et Zhanie Roy est une auteure à suivre…

Du sang sur les lèvres d’Isabelle Gagnon est une longue nouvelle noire (ou un mini-roman?) mettant en scène les jumeaux Alix et Paul, deux jeunes Français, que les circonstances ont amenés à Pohénégamook, dans le Témiscouata. Mais ce ne sont pas de simples touristes attirés par le folklore du monstre local. Paul, un être tourmenté, rumine de sombres desseins. Il semble préparer un mauvais coup et sa sœur, l’insupportable Alix, est venue le rejoindre pour l’empêcher de commettre l’irréparable. Mais un passé violent, sanglant (le meurtre de leurs parents par un certain « Monster ») va les rattraper et tout cela finira dans un épouvantable bain de sang, dont on sort quelque peu ébranlé! Une narration fluide, un sens du suspense et du mystère qui ne nous lâche jamais sont autant d’incitatifs à lire cette histoire insolite, un peu tordue, dont les protagonistes (fort peu nombreux) ne sont guère sympathiques. Ce polar est la première incursion d’Isabelle Gagnon dans le domaine du noir. On lui souhaite de récidiver, mais avec une œuvre plus conséquente, plus ambitieuse que ce récit dépouillé aux allures de « novella ».

Maryse Rouy n’est pas vraiment une néophyte dans le domaine du polar puisqu’elle a remporté le Prix Saint-Pacôme en 2003 avec Au nom de Compostelle (Québec Amérique, 2003). Voleurs d’enfants est le deuxième volet des « Chroniques de Gervais d’Anceny », une excellente série de polars historiques dont l’action se passe au Moyen-Âge et qui mettent en scène un ancien drapier, enquêteur à ses heures, et retiré dans un monastère normand. À peine remis des événements tragiques de Meurtre à l’hôtel Despréaux (Druide, 2014), Gervais d’Anceny reçoit un appel au secours de son fils Philippe. Son petit garçon a été enlevé au marché. Il pourrait avoir été la cible d’un réseau de voleurs d’enfants qui sévissent à Paris. Les enfants sont mutilés et les survivants de cette horreur sont envoyés mendier sur les parvis d’église ou les marchés publics. Gervais quitte donc le monastère où il est cloîtré pour enquêter sur cette disparition inquiétante. Une fois de plus, Maryse Rouy, écrivaine d’expérience (elle a publié une trentaine de romans), réussit le pari du polar historique, soit de combiner harmonieusement une recherche approfondie, une érudition irréprochable et les libertés de la fiction dans une intrigue bien développée où mystère et suspense sont une fois de plus au rendez-vous! 

Pour terminer, signalons que Le cri du cerf, premier de la série de polars de Johanne Seymour (publiés par Libre Expression) et mettant en vedette son inspectrice Kate MacDougall, est en voie d’adaptation en série télévisée dont la diffusion est prévue en 2016, avec Céline Bonnier dans le rôle principal.

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