Période tragique dans l’histoire de l’humanité, la Seconde Guerre mondiale, qui a embrasé le monde de 1939 à 1945, a inspiré un grand nombre d’auteurs de polars et de thrillers historiques. En effet, on a tendance à oublier que pendant toute la durée d’un conflit armé, exception faite des champs de bataille, des lignes de front et autres théâtres de guerre, la vie de tous les jours battait son plein en dépit des dangers, des combats, des difficultés de ravitaillement et autres inconvénients majeurs liés au conflit. Et qui dit vie quotidienne dit aussi criminalité et enquêtes policières… Mais être flic dans le cadre d’un conflit sanglant, alors que la mort rôde au quotidien, dans un environnement politico-militaire souvent dangereux, répressif et paranoïaque, n’est pas toujours une affaire de tout repos.

Philip Kerr est sans doute l’auteur qui a le plus contribué à populariser les polars historiques dont l’action se situe en temps de guerre. En 1989, il a publié L’été de cristal, première apparition de Bernhard Gunther, dit « Bernie », inspecteur de la police allemande, farouchement anti-nazi, dont les enquêtes vont se poursuivre dans les onze volumes suivants et dont les aventures couvrent la période allant de 1936 à 1956. Dans Bleu de Prusse (Seuil), une première partie de l’intrigue commence en France en 1956. La Stasi, sinistre police secrète est-allemande, veut le supprimer car il refuse d’être l’un de ses tueurs. L’autre partie du récit se situe en Allemagne, en 1939. Un ingénieur allemand a été assassiné sur la terrasse du « nid d’aigle » du Führer. Le général Heydrich ordonne à Bernie de découvrir le coupable le plus rapidement possible, avant le retour du maître des lieux qui doit y fêter son 50e anniversaire, et cela en toute discrétion. Mais les régisseurs de Berchtesgaden, dont le sinistre Martin Bormann, tous impliqués dans des luttes de pouvoir ou des trafics illégaux, font tout pour que l’enquête échoue.

Avec un art subtil du suspense, l’auteur fait aboutir les deux narrations dont les liens se précisent au fur et à mesure que l’histoire progresse. Philip Kerr est décédé en mars 2018, mais un treizième et dernier épisode de cette série remarquable, tout à fait passionnante, est en cours de traduction.

Successeur talentueux de Kerr, l’auteur allemand Cay Rademacher a publié récemment L’orphelin des docks (Le Masque), deuxième volet d’une trilogie entamée avec L’assassin des ruines (Le Masque, 2017). L’inspecteur Frank Stave est policier à Hambourg, une ville complètement dévastée par les bombardements alliés. Il est obligé de coopérer avec James McDonald, un lieutenant anglais des troupes d’occupation. Ils enquêtent sur la mort brutale d’un adolescent dont le corps a été découvert étalé sur une grosse bombe qui n’a jamais explosé. Leurs investigations vont révéler l’existence des « enfants-loups », ces milliers d’orphelins de guerre qui survivent tant bien que mal à l’écart de la société en se livrant à divers trafics ou en volant du charbon. Ce qui est particulièrement intéressant dans ces deux premiers romans, c’est la description ahurissante que fait l’auteur de la (sur)vie dans une grande ville allemande après la chute du Troisième Reich. Les deux enquêteurs, qui ont surmonté leur méfiance réciproque envers l’ancien ennemi, évoluent dans un monde cauchemardesque, un univers de tous les dangers où les gens affamés sont prêts à tuer pour un quignon de pain. Par ailleurs, on découvre aussi l’histoire souvent occultée de ces enfants-loups, victimes collatérales de cette guerre qui a dévasté l’Europe dont les villes bombardées, vastes champs de ruines, gardent encore de terribles séquelles.

Autre émule de Kerr, Harald Gilbers signe une trilogie qui débute avec Germania (Kero, 2015), se poursuit avec Les fils d’Odin (Kero, 2016) et se termine avec Derniers jours à Berlin (Calmann-Lévy) dont l’action se passe à Berlin, fin avril 1945, alors que les troupes russes se lancent à l’assaut de la ville. Son héros, le commissaire Richard Oppenheimer est un ex-policier. Quoique juif, cet ancien super-flic voit ses services sollicités par les autorités nazies, ce qui lui permet d’échapper à la déportation. Mais dans le chaos de la défaite, il est séparé de sa femme Lisa qui est violée par un certain Grigoriev, un déserteur de l’armée russe à la tête d’une redoutable bande de pillards. Mû par la haine et le désir de vengeance, Oppenheimer se met à traquer le bandit, sans savoir que les autorités russes le recherchent de leur côté, car Grigoriev aurait mis la main sur du matériel primordial aux projets nucléaires nazis! Plus qu’un simple polar, ce récit est aussi un formidable document historique qui nous fait vivre en direct la chute du Troisième Reich, les exactions atroces commises par l’armée soviétique (des milliers de viols et d’exécutions) et l’occupation de Berlin par les troupes alliées alors qu’apparaissent déjà les premières frictions de la future guerre froide!

Autre écrivain fasciné par les événements de 39-45, l’auteur islandais Arnaldur Indridason met en lumière des aspects peu connus de son pays durant cette période dans sa « Trilogie des ombres ». Passage des ombres (Métailié) est le troisième roman de la série. En 1944, l’Islande occupée vit « La situation », c’est-à-dire la fréquentation controversée des soldats des troupes d’occupation anglaises et américaines par les jeunes Islandaises. C’est dans ce contexte que les enquêteurs Thorston et Flovent enquêtent, sans succès, sur la mort brutale d’une jeune femme retrouvée étranglée. Soixante ans plus tard, Konrad, retraité de la police, suit de près le dossier de la mort suspecte d’un vieil homme qui semblait s’intéresser de très près à ce vieux fait divers. Pourquoi cet ancien crime jamais résolu refait-il surface après tout ce temps? Jouant habilement sur deux époques, Indridason met fin de manière brillante à cette série nordique de polars historiques, une des plus passionnantes à paraître au cours de ces dernières années.

Dans la même veine, on pourra lire aussi Les cendres de Berlin (Toucan noir) de Luke McCallin, dont l’action se passe en 1947, 7/13 de Jacques Saussey (Toucan noir), où il est question, entre autres, de la disparition mystérieuse du chef d’orchestre Glenn Miller en décembre 1944, et Le triomphe des ténèbres de Giacometti et Ravenne (JC Lattès), premier tome d’une saga « où l’histoire occulte fait se rencontrer les acteurs de la Seconde Guerre mondiale ».

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