Après la publication du roman Le silence des agneaux (1988) de Thomas Harris, les amateurs de polars ont été bombardés de récits ayant pour thème la traque d’un ou de plusieurs tueurs en série par des profileurs de génie. Quand cette thématique surexploitée a commencé à perdre de son intérêt, les lecteurs ont eu droit aux affaires classées non résolues, les fameux cold cases, sous-genre désormais concurrencé par l’écopolar ou le thriller écologique, en vogue depuis une dizaine d’années maintenant.

Cette nouvelle tendance du polar est elle-même une sous-catégorie d’un phénomène littéraire plus large que les médias anglo-saxons ont baptisé « cli-fi », ou climate fiction, branche émergente d’un type de récit qui reflète les peurs, les angoisses de l’humanité face aux conséquences souvent catastrophiques des changements climatiques et à la pollution de la planète. Participant au cri d’alarme mondial sur les menaces qui pèsent sur la faune, la flore et l’homo sapiens (inondations, tornades, fonte des glaces, déforestation, disparition d’espèces animales et végétales, désertification, etc.), ces fictions engagées sont autant de mises en garde contre un désastre imminent. À vrai dire, cette « fiction climatique » qui dénonce les atteintes à la nature et ses conséquences apocalyptiques n’est pas vraiment nouvelle : le roman catastrophe a été une branche florissante de la science-fiction dès les origines du genre, avec parfois une touche écologique, notamment chez des écrivains comme J. G. Ballard dont certains récits postapocalyptiques sont étrangement prémonitoires, comme Le vent de nulle part (1962), Le monde englouti (1964) ou Sécheresse (1965). De la science-fiction, la climate fiction a gagné l’ensemble de la littérature de genre, entre autres le thriller écologique, qui mêle habilement les codes du roman policier d’enquête avec ceux de la fiction spéculative et du roman d’aventures, le tout mâtiné de préoccupations écologiques.

À titre d’exemples, parmi les œuvres marquantes parues au cours des vingt dernières années, on retiendra une série de Patric Nottret mettant en vedette les détectives verts de la FREDE (Brigade des fraudes et délits sur l’environnement) ou certains thrillers judiciaires écolos de John Grisham, récits dans lesquels les protagonistes combattent les ennemis de l’environnement ou les écoterroristes.

L’auteure française Sonja Delzongle s’est d’abord fait connaître avec une série de quatre polars d’enquête mettant en scène la profileuse Hanah Baxter, aux méthodes peu orthodoxes. En 2018, elle a amorcé un « virage vert » avec Boréal, un thriller scientifique dont l’action se passe au Groenland. Un groupe de scientifiques est chargé d’étudier les conséquences du réchauffement climatique sur la fonte des glaces et du pergélisol, ce sol gelé en permanence et absolument imperméable des régions arctiques. En plus d’affronter d’effroyables conditions climatiques, les protagonistes doivent se battre contre des forces invisibles que leurs recherches dérangent et qui veulent les éliminer.

En 2021, Delzongle récidive avec Le dernier chant, thriller scientifique et récit apocalyptique qui met en scène Shan Shoun, une chercheuse de l’Institut de virologie de Grenoble.

Le récit commence au Québec où s’est produite une série de catastrophes naturelles inexpliquées : à Tadoussac, sur le Saint-Laurent, on découvre à perte de vue des cadavres de marsouins, de baleines et de bélugas. L’origine de cette hécatombe est inconnue! Au Congo, les gorilles succombent eux aussi à un mal inexpliqué. Points communs entre ces deux événements : une prostration inexpliquée, des larmes de tristesse, un chant de détresse. Les animaux à l’agonie pleurent! Shan Soun enquête sur ces phénomènes étranges et cherche à percer le mystère de ce mal inconnu à la propagation exponentielle et qui menace la survie de l’espèce animale et celle de l’humanité. Contactée par un groupe d’activistes dirigé par un ingénieur du son, un baroudeur au passé militaire, elle apprend que l’origine du mal, c’est le « Hum », le bruit qui tue, originaire du centre de la terre et amplifié par des interventions humaines inconnues! C’est le « dernier chant », qui apporte la mort. Le groupe veut découvrir qui est à la source du problème. Leur enquête met à jour un complot mondial sur fond de nouvelles technologies, de recherche de l’immortalité, et d’expériences militaires visant à changer l’humanité en profondeur. La finale est plus que surprenante, elle est carrément terrifiante!

À la fois instructif et captivant, ce thriller est la combinaison parfaite du récit engagé et du roman d’aventures à suspense, avec des touches poétiques, voire lyriques, surtout dans l’émouvante première partie.

L’apparition de ce courant écologique a aussi donné naissance à un nouveau type de protagoniste : l’écoterroriste, ou le militant fanatique, comme la vlogueuse et activiste Naiyana Maguire, antihéroïne de Sous terre, un thriller de James Delargy dont l’action a pour cadre la nature sauvage et dangereuse du bush australien.

Afin de prendre un nouveau départ, Lorcan Maguire, son épouse Naiyana et leur fils Dylan traversent le désert australien en direction de Kallayee, un ancien village minier abandonné. Lorcan a volé des données à l’entreprise qui l’a mis à pied, entreprise dirigée par deux dangereux mafieux. Naiyana est une militante farouche, obstinée, impliquée dans de nombreuses causes, dont la défense de l’environnement et la lutte contre toutes les formes de pollution. Elle s’est attaquée à une multinationale de l’agroalimentaire accusée d’avoir utilisé illégalement des produits nocifs dans une nouvelle gamme d’aliments pour bébés. Les actions militantes de Naiyana et de ses complices ont forcé la compagnie à fermer une de ses usines polluantes, entraînant de nombreuses mises à pied. Cachés dans leur repaire minable du désert, les époux espèrent faire profil bas, mais sur place, rien ne va se dérouler comme prévu. Les conditions de survie sont épouvantables et le couple se délite lentement. La tension est encore exacerbée quand d’étranges grondements se manifestent la nuit. Ils s’aperçoivent qu’ils ne sont pas seuls. La rencontre avec les « autres » va être explosive, avec des conséquences tragiques pour les deux groupes! Sous terre est un récit très noir, à l’ambiance âpre et étouffante qui met en scène des personnages d’un militantisme extrême, cupides, gagnés par la fièvre de l’or, qui finissent par basculer dans le crime et l’horreur.

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