Aux confins du polar

9
Publicité
Classés par genres depuis des lustres, les romans se jouent désormais des étiquettes. De quoi donner des maux de tête aux libraires, qui doivent pourtant choisir une section! Le polar, ce vaurien de la littérature, n'est naturellement pas en reste. Bien souvent, du policier il ne reste que le nom et une vague enquête, prétexte à faire avancer la narration. Les polars sont souvent à la frontière de la quête fantastique, du roman historique, du conte philosophique à la fable burlesque. De quoi indisposer fortement les purs et durs, mais… multiplier mon plaisir! Voici donc quelques nouveautés qui sont un peu plus que du polar.

Et qui de mieux pour commencer que Frédéric H. Fajardie? Enfant terrible du polar, excommunié par le pape du genre (Michel LeBrun) pour déviation, fondateur du néo-polar, il donne maintenant dans l’Histoire (à sa façon). Le Conseil des troubles nous entraîne sous Louis XIV à la suite d’un héros singulier, ultime descendant de l’Atlantide, Tancrède de Montigny, Duc de Bamberg. Si ce dernier est pauvre (pour un duc), il possède tout de même la clé du trésor secret des Templiers, transmise de père en fils. Il commande un escadron d’ «opérations spéciales», qui harcèle l’arrière des lignes ennemies en pleine guerre de la ligue d’Augsbourg. Le duc est poursuivi par un tueur à gages teutonique et la puissante organisation, le Conseil des troubles. Notre héros aura besoin d’un étrange pouvoir pour servir son roi. Cocktail explosif qui plonge dans l’histoire, frôle le fantastique et taquine la fantasy, le roman de Fajardie se lit comme un polar. Ce récit est enlevé, ses personnages sont convaincants (inimitable Louis XIV!), on y rit et on verse une larme. Bref, on se détend sans en demander plus.

Bernard Cornwell, lui, est aussi un maître du roman historique, mais il écrit avec moins de délire fantaisiste. Cet Anglais nous plonge en plein Moyen Âge, à l’époque d’Alfred Le Grand, qui était en guerre contre les Vikings. Le Quatrième cavalier nous entraîne dans la bataille du Wessex. C’est la suite du Dernier Royaume, qui racontait l’enfance d’Uthred, fils d’Uthred, petit seigneur de Northumbrie, enlevé et élevé par les Danes, les terribles Vikings. Le roi Alfred est vaincu et les envahisseurs scandinaves sont partout. Réfugié dans un marais avec quelques fidèles, il fait appel au jeune et indiscipliné comte Uthred, toujours aussi désinvolte face à la religion, tandis qu’Alfred est pieux. Le jeune guerrier est justement en train de piller quelques villages de la côte bretonne avec un ami viking. Dans son périple, Uthred capturera également la reine sorcière Iseult, dont il tombera amoureux; et il brûlera finalement un monastère pour s’emparer du butin. À l’époque, les épées et les haches avaient des dons et des noms. Mais sans Uthred, toute l’Angleterre serait devenue «Dane». Il s’agit d’un récit historique palpitant, loin de l’histoire «officielle», mais probablement plus réaliste que cette dernière. On saisit la cruauté des Vikings et des Anglais, mais également leur code de l’honneur et leur aptitude à cohabiter après la victoire ou la défaite. Et quelles batailles! Les amateurs de David Gemmel, auteur de fantasy, ne seront pas déçus, et pourront se dire que l’Histoire avait des relents de fantasy à cette époque. Sans être un polar, ce livre s’en rapproche par le sens de l’intrigue et la vigueur du récit.

Plongée dans l’histoire
L’Allemande I.J.Parker m’avait agréablement surpris avec L’Énigme du dragon tempête, une plongée en plein Japon féodal; cette période de l’histoire nippone est méconnue. Fortement influencé par la Chine, le pays était encore loin de l’époque guerrière des samouraïs. J’ai retrouvé avec plaisir Sugawara Akitada, jeune fonctionnaire de justice âgé de 30 ans, lancé dans une nouvelle enquête avec L’Énigme de la porte Rashomon. Notre détective en herbe doit se transformer en professeur d’université afin de résoudre une sombre histoire d’examens falsifiés et de chantage parmi les professeurs. Alors qu’il est sur le point de démasquer les tricheurs, deux meurtres sont commis coup sur coup. Tandis que son secrétaire Seimei et son serviteur Tora enquêtent dans l’ombre dans les bas quartiers de la ville, Sugawara est confronté aux manigances de l’élite intellectuelle du XIe siècle japonais. Si l’énigme est bien construite, le parfum particulier de ce roman tient au dépaysement culturel, social et politique qu’il nous procure. Un excellent roman historique doublé d’un polar, qui rappelle les enquêtes du juge Ti en Chine.

Parmi les nouveautés dans le même genre se trouve le roman de Jean-Christophe Grangé: Le Serment des limbes. Polar contemporain, c’est le récit de deux inspecteurs, amis de jeunesse, prêts à certaines bavures pour faire avancer leurs enquêtes. Le hic, c’est qu’ils sont fervents (très fervents!) catholiques et que petit à petit, l’intrigue suggère que le meurtrier en série qu’ils poursuivent est le Diable en personne. Des expériences de mort imminentes (EMI) font basculer certaines personnes en enfer, qui reviennent dans le monde des vivants en suppôts de Satan. Le Vatican suit la même piste avec une troupe de curés de choc bien armés (mitraillettes et crucifix). Ouais!… Grangé est un maître de l’intrigue et sait nous mener en bateau. Toutefois, le problème de ce livre est que le bateau prend l’eau. Même dans un roman fantastique délirant, un genre que j’aime habituellement, il faut des personnages psychologiquement crédibles. On ne croit pas aux personnages de Grangé, entre confessions et bagarres, ni à la guerre contre le Diable au nom de Dieu. Pourtant, ce dernier sait que Grangé a du talent! Même si j’étais agacé, il a réussi à me tenir en haleine pendant 652 pages: j’en parle ici car je n’ai pas perdu espoir. Grangé possède tous les ingrédients pour écrire un grand thriller. Ne reste qu’à faire monter la sauce!

Lorsque j’ai commencé cette chronique, j’espérais recevoir à temps le nouveau roman de Douglas Preston et Lincoln Child, Danse de mort. Lorsque vous lirez ses lignes, il sera sorti ou sur le point de sortir. Tous leurs romans sont de petits bijoux qui mêlent le fantastique, l’intrigue policière bien orchestrée et une percée dans le monde de l’archéologie. Ils mettent en scène un personnage inoubliable, l’inspecteur Pendergast, au regard acéré, à la peau diaphane et aux pouvoirs mystérieux. Emmuré vivant à la fin de sa dernière aventure, il semble qu’il s’en soit sorti. Mais tout comme Sherlock Holmes, il doit cette fois affronter un alter ego aussi brillant que lui, mais voué au mal. Méchant duel en perspective! Aux marges du polar, peut-être, mais c’est tellement intelligent et bien ficelé. À découvrir si ce n’est déjà fait!

Bibliographie :
Le Conseil des troubles, Frédéric H. Fajardie, Lattès, 480 p., 29,95$
Le Quatrième cavalier, Bernard Cornwell, Éditions Michel Lafon, 346 p., 24,95$
L’Énigme de la porte Rashomon, I.J. Parker, Belfond, coll. Nuits noires, 456 p., 26,95$
Le Serment des limbes, Jean-Christophe Grangé, Éditions Albin Michel, coll. Thrillers, 652 p., 34,95$
Danse de mort, Douglas Preston et Lincoln Child, L’Archipel, coll. Les maîtres du suspense, 510 p., 34,95$

Publicité