En son temps, Jules Verne écrivait de la science-fiction, se projetant dans le futur. De nos jours, ses textes sont présentés comme étant du steampunk, un genre littéraire qui revisite le passé en y plaçant des éléments du futur. Les œuvres de science-fiction sont amenées à recevoir de nombreuses étiquettes en fonction du temps qui passe, mais aussi de ce qu’elles mettent en scène… et de la réalisation de ces futurs projetés.

Bien qu’il ait été écrit en 2019, le roman graphique de Marie de Paula e Silva résonne différemment en ces temps de pandémie puisque son récit débute alors qu’une épidémie a décimé la population mondiale et a rendu Marius orphelin. Rapidement, le jeune adolescent doit quitter Montréal pour survivre et rejoint une famille qui connaît une usine où ils pourraient s’abriter pour passer l’hiver sur la Rive-Sud. Mais les conditions météorologiques sont difficiles et la nature semble aussi bien déterminée à reprendre ses droits. Les humains qui survivront devront apprendre à la comprendre, à l’apprivoiser et à la respecter…

Publié chez KATA, toute nouvelle maison d’édition qui souhaite offrir des livres qui permettent à leurs lecteurs de devenir de meilleurs citoyens en les faisant réfléchir tout en les divertissant, Les enfants de la terre allie aventure, survie et psychologie. Selon son éditeur, Luca Palladino, « l’objectif premier du livre est [d’ailleurs] de faire un lien entre la destruction de notre écosystème et notre autodestruction ».

L’auteur français Camille Brunel avait lui aussi terminé la rédaction de son texte Après nous, les animaux avant la pandémie actuelle. Ce qui lui a donné envie d’écrire cette histoire, c’est « le besoin très net de présenter les animaux différemment, c’est-à-dire comme des personnes, conscientes et intelligentes. Les découvertes scientifiques en matière d’éthologie ou de neurosciences sont toutes plus hallucinantes les unes que les autres, et les artistes ont encore trop tendance, pourtant, à présenter les animaux comme des êtres de mystère, insaisissables, insondables : j’ai voulu renverser la vapeur et montrer qu’il peut y avoir, chez les animaux les plus réalistes qui soient, une quantité folle d’histoires, qui va bien au-delà des besoins physiologiques basiques ou d’une obéissance aveugle à l’instinct. » Et si cette volonté se perçoit dans son récit, ce dernier a de nouveau une résonance différente en ces temps bien particuliers puisqu’il commence en 2086, alors qu’Aria, ultime survivante humaine d’une épidémie destructrice, s’éteint dans la cale d’un bateau, sorte d’arche de Noé affrétée par son père.

Les personnages de son roman ne sont donc pas des humains, mais bien des animaux. Libérés par l’adolescente, trois taureaux, une vache, un lion, quatre chevaux, deux geais, cinq lycaons, trois pandas roux, deux chimpanzés, deux éléphants, une panthère et un python découvrent le Mexique quand leur moyen de transport s’échoue dans le Yucatán. Encore imprégnés de leur vie dans un cirque, ils ont tendance à rechercher la trace des hommes, mais ils devront plutôt apprendre à vivre entre eux, proies et prédateurs, s’ils veulent survivre dans cet univers redevenu sauvage.

C’est une lecture lente parce qu’on suit leur parcours vers le nord du Mexique, leur quotidien ponctué d’attaques et de changements d’habitude, de destination et qu’on est davantage dans l’observation (et certaines descriptions sont parfois très visuelles, cœurs sensibles s’abstenir, mais ce n’est plus le monde des humains et la réalité animale peut être très dure), mais cela n’empêche pas la fascination. En effet, Camille Brunel décrit la jungle avec doigté, justesse, et on découvre au cours de leur périple ce que l’humanité aura laissé derrière elle et plusieurs scènes sont particulièrement puissantes, soit par leur force de frappe, soit par leur beauté. Un xoloitzcuintle (c’est l’invité du groupe) qui s’émeut devant un ballet de baleines à bosse, des éléphants qui s’éteignent, la naissance de bébés lycaons en pleine attaque… C’est un roman hors norme!

Hors norme a aussi été l’écriture de L’après…, le roman d’Émilie Ouellette. L’autrice l’a en effet imaginé pendant la pandémie alors que les chapitres étaient diffusés quotidiennement sur Instagram et qu’elle y interagissait avec ses lecteurs. Ça donne un récit qui s’ancre dans une certaine réalité, mais qui explore surtout une possibilité : et si tous les adultes disparaissaient?

Après que la pandémie a tué tous les adultes de la planète, les adolescents et les enfants ont dû se débrouiller entre eux. Skye et Margot prennent soin de Charlie, leur petite sœur, et s’entraident avec leurs voisins Karim et Naïm. Mais dans leur quartier rôde la bande à Vincent, qui a pris le contrôle de l’épicerie. Leader lunatique de son groupe, il est sujet à des excès de violence et seule sa cousine Stella arrive à le calmer. Mais pour combien de temps?

Absent de la bibliographie jeunesse québécoise, ce concept d’une bande de jeunes laissés à eux-mêmes amène beaucoup d’adrénaline et de rebondissements et L’après… offre une expérience de lecture haletante. Émilie Ouellette a une écriture efficace, utilisant des flash-backs pour expliquer certains comportements, gardant certaines zones d’ombre pour ménager ses effets. Elle n’a pas non plus peur d’aller parfois dans la violence, suscitant un véritable sentiment de danger alors qu’on voit l’équipe de Skye tenter un sauvetage et le récit garde ses lecteurs captifs jusqu’à la fin.

Si lire de la science-fiction si près de notre réalité (et qui nous promet un futur difficile dans tous les cas) peut être anxiogène, c’est aussi une façon de se questionner sur ce qui nous a menés à cette époque un peu folle, à notre rapport à la terre, aux animaux, et à notre façon de réagir, en tant que société aux contraintes actuelles. Espérons seulement que ces trois œuvres ne sont pas prophétiques…

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