Les œuvres de fiction sont du domaine de l’imaginaire, mais elles prennent naissance et ancrent leurs racines dans un terreau bien réel, que ce soit des lieux, des rencontres ou encore l’air du temps et ses changements. Si parfois cela se sent moins, comme si le filtre de l’auteur transformait sa matière lors de l’écriture, d’autres fois l’univers présenté est si tangible qu’on le dirait puisé dans la vérité.

C’est l’impression que m’a laissée Mofo, d’Olivier Simard, qui met en lumière des personnages d’adolescents masculins un peu à la dérive, en difficulté, qui ne prennent pas toujours les bonnes décisions, mais possèdent aussi un cœur immense.

Mofo, c’est l’histoire d’un battement d’ailes de papillon. Ou plutôt d’une suite de circonstances qui ont fait que Manu, Thierry et Ray ont eu cette idée folle un soir dans le parc : « emprunter » la voiture de la mère de Manu pour partir à Blackburn, une ville où il y aurait vraiment plus de filles que de gars, pour pouvoir enfin perdre leur virginité.

C’est l’histoire de trois gars sur la dérape. La mère de Manu ne lui parle plus depuis qu’il a échoué son secondaire cinq et il enchaîne les situations d’évitement au lieu de vraiment faire face.

C’est l’histoire d’une route et de ses détours, de l’amitié entre gars, parfois rude, souvent dans les non-dits. Il y a la course folle pour se sauver du serveur qui a compris qu’ils ne paieraient pas, le lac, les sandwichs aux œufs, le party. Il y a aussi tranquillement des destins qui se construisent et tracent leur chemin… pas toujours dans la direction qu’on pense.

Écrit dans une langue parlée, mais avec une poésie certaine, Mofo s’adresse à un public de jeunes adultes parce qu’il contient des scènes de nudité, des références pornographiques et de la sexualité. Toutefois, si cela peut en choquer certains, ce qu’Olivier Simard arrive à coucher sur papier, c’est l’adolescence pure, vraie, pas toujours propre, parfois questionnable de notre point de vue d’adulte, mais authentique.

Au fil des pages, la route permet aux thèmes d’éclore : la difficulté de se trouver, la tendance à aller vers la facilité, l’amitié pas toujours évidente, la fine ligne entre « montrer notre sensibilité, la partager » et la peur de se faire traiter de « gai », encore présente malgré les avancées de notre société, le rapport à la pornographie aussi, magnifiquement rendu entre autres dans une scène où Manu vit sa première relation sexuelle et où tout va bien jusqu’à ce qu’il tente un move inspiré des films qu’il a vus… mais qui n’entraîne pas la réaction souhaitée. La scène est désarmante, sensible, à l’image de ce récit : c’est brut et parfois malaisant, mais c’est surtout la vie.

Les adolescents de La (presque) grande évasion de Marine Carteron ne sont pas dans la même ambiance, ils se débrouillent plutôt bien à l’école et n’entrent pas en rébellion directe contre les parents, mais cela ne les empêche pas de prendre le large… et une suite de mauvaises décisions.

L’aventure commence quand Bonnie trouve le mot laissé par sa mère avec son téléphone et sa carte bleue sur la table de la cuisine : « Je pars. » L’adolescente est en panique, persuadée que sa mère vient de les abandonner, son père, son petit frère et elle, et qu’il n’y a qu’elle pour arriver à la retenir. C’est ainsi qu’elle profite du fait que son paternel travaille comme un fou pour braver le confinement et le couvre-feu et se lancer sur les traces de sa mère. Mais pour que son plan fonctionne, il faut qu’elle en parle à ses deux meilleurs amis, Malo l’hypocondriaque et Jason l’éternel fauteur de troubles. Et quand ces derniers décident que le projet ne peut se faire qu’avec eux et en compagnie de Melting-Pot, le chien de Bonnie, l’aventure se corse…

Ce road trip aquatique fait aussi partie des premiers romans qui s’ancrent assurément dans la « nouvelle réalité » mondiale de la COVID. Ainsi, les personnages doivent respecter un couvre-feu ainsi que porter des masques et Malo l’hypocondriaque est très stressé par tout ce qui concerne la transmission du virus.

Rendant son trio principal attachant, notamment grâce à la vivacité de ses dialogues, Marine Carteron fait aussi entrer dans la fiction les nouvelles habitudes de vie, les réflexes qu’on acquiert par la force des choses, et les différentes visions face aux mesures alors qu’elle donne la parole à des personnages secondaires aux idées parfois contradictoires, notamment quand il est question de suivre les règles.

Écrit avant la pandémie, Les étincelles invisibles d’Elle McNicoll aborde pour sa part une réalité dont on entend de plus en plus parler, mais qui est difficile à saisir notamment parce qu’elle prend des formes différentes chez chacun, soit l’autisme. Écrit à la première personne, ce court roman permet à son lectorat de vivre de l’intérieur l’hypersensibilité de son héroïne tout comme les préjugés de ceux qu’elle rencontre et la dureté de ceux qui l’entourent et sont incapables de comprendre l’unicité de son cerveau.

Il faut dire que la réaction d’Addie lorsque son enseignante aborde le thème des sorcières peut paraître surprenante. Instantanément, son cerveau s’allume, se met à chercher de l’information, et l’adolescente en développe presque une obsession. La cause de ces femmes injustement accusées, jugées, tuées suscite son indignation au point où elle décide de se battre pour elles. De faire ériger un mémorial pour rappeler que la différence n’est pas dangereuse, elle qui la vit au quotidien.

Au fil des pages, et notamment grâce aux explications de Keedie, sa grande sœur aussi autiste, Addie permet aux lecteurs d’appréhender le neuroatypisme de l’intérieur, de voir comment elle pense et, surtout, comment la réaction des autres l’affecte. Une lecture qui peut faire écho à des articles lus, à des rencontres, ou encore à soi, tout comme les œuvres d’Olivier Simard et de Marine Carteron. Parce que les livres si bien écrits laissent rarement indifférents et résonnent chez ceux qui s’y reconnaissent ou chez ceux qui sont particulièrement sensibles à la diversité du monde qui les entoure.

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