Rêver. Fait de laisser aller librement son imagination ; idée chimérique. Rêver, une action qui se fait presque naturellement dans l’enfance, alors qu’on s’amuse à s’imaginer prendre d’autres formes, que notre chambre est à tour de rôle peuplée de fées ou de monstres, qu’elle disparaît sous la fumée d’un feu à éteindre ou qu’elle devient une cabine d’avion, prête pour le décollage. Et si on rêve dans la vie, on rêve aussi dans et par la lecture…

La petite Pétra de Marianna Coppo, personnage éponyme d’un album italien paru chez Scholastic, se transforme au fil de ses souhaits. D’abord, elle est indestructible, centre du monde, résistant au vent et au temps. Une montagne. Puis elle est un œuf extraordinaire, « dans un monde de possibilités ». Qui sait ce qui en naîtra? Un dragon? Un pingouin? Finalement, elle est une île… et même si le lecteur a compris depuis longtemps qu’elle est en fait un caillou, une pierre, à la merci du chien, de l’oiseau, de l’enfant qui la ramasse, il rêve avec elle.

Marianna Coppo accompagne son texte de collages d’illustrations réalisées à la peinture a tempera et aux pastels, mis en valeur par la blancheur des pages. Avec juste assez de détails pour bien représenter les différents costumes, le soin apporté au rendu des expressions de chacun des personnages qui croisent la route de Pétra et la bouille si sympathique de la petite pierre (qui dit d’ailleurs pour finir qu’elle « est bien fière » de son statut), cet album frappe le cœur de la cible et rejoindra les plus jeunes.

Pour les enfants des premières années du primaire, rêver, c’est aussi s’inventer un futur. « Que feras-tu plus tard? » Les réponses fusent, sans barrière. « Astronaute », « chevalière », « archéologue », « pompière ». Et de plus en plus au fait des difficultés auxquelles notre monde fait face, ils sont aussi nombreux à se rêver superhéros ou encore scientifique hors norme, capables de renverser le cours des choses. Comme Max Einstein, héroïne attachante et brillante du roman du même nom qui vise les 10 ans et plus, paru cette saison aux éditions Petit Homme.

Rempli d’aventure et de rebondissement et faisant la juste part à l’humour, ce récit signé James Patterson et Chris Grabenstein met en scène une jeune fille particulièrement intelligente pour son âge. Si Max, 11 ans, « squatte » les étages d’un immeuble new-yorkais abritant des écuries, c’est qu’elle ne sait pas d’où elle vient. Pour remplacer ses parents qu’elle ne connaît pas, elle a toutefois trouvé toute une bande d’adultes qui prennent soin d’elle autant qu’elle prend soin d’eux, et, surtout, l’incroyable Albert Einstein à qui elle voue un véritable culte et avec lequel elle discute même dans sa tête, lui demandant conseil quand elle se retrouve face à des dilemmes. Il faut dire que, comme lui, Max est un petit génie en son genre. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que deux sociétés tentent de lui mettre le grappin dessus. Si elle évite brillamment de se retrouver entre les pattes de la première (aux visées plus nébuleuses), elle accepte de suivre les agents de la deuxième, qui l’invitent à participer à un concours en Israël. Le but? Trouver, parmi une bande d’enfants particulièrement intelligents (et venant de partout dans le monde, ce qui permet au roman de se démarquer par sa diversité culturelle), celui qui pourra sauver le monde (rien de moins). Angoissée au départ parce que n’aimant pas se mesurer aux autres (et peu habituée à fréquenter des enfants de son âge), Max finira par comprendre que c’est l’entraide qui fait la force… et résistera au passage à de nombreuses tentatives d’enlèvements en plus de résoudre les problèmes d’alimentation en électricité de la région de Lubumbashi, en Afrique.

Finalement, rêver, c’est aussi utiliser l’imaginaire pour adoucir la dure réalité. Et c’est ce que propose le puissant et troublant album Le lion de Jacob, paru chez Monsieur Ed. Il n’y a d’abord que des illustrations. Une chambre d’hôpital et un garçon dans un lit. Pâle. L’arrivée d’un lion, menaçant, sans pitié, qui déchiquette le lit et entraîne l’enfant dans un monde imaginaire où il est tantôt le ballon d’une équipe de moutons qui affronte les loups, tantôt le cobaye d’un lapin magicien qui le coupe en deux et le laisse ainsi, démuni.

« De son lit d’hôpital, Jacob observait la neige qui tourbillonnait dans le ciel gris. Il avait l’air triste. […] D’habitude ceux qui ont ce que j’ai, ils meurent, pas vrai? demanda Jacob. »

L’arrivée du texte présente le décor : le garçon est gravement malade. Seul dans sa chambre, il a peur. De mourir, de souffrir. Mais Brami, l’infirmière africaine à son chevet, lui raconte l’histoire du dénicheur, un animal qui pourra le protéger, le ramener même si les docteurs le perdent en cours de route. Et Jacob replonge dans les rêves, à la recherche de celui qui sera son protecteur. Mais comment le reconnaître? Et pendant que Jacob cherche, son corps se bat contre la maladie…

Écrit par Russell Hoban, grand auteur anglais décédé en 2011, et mis en image par Alexis Deacon, cet album n’est pas facile d’approche, mais il récompense ceux qui s’immergent dans son texte et ses illustrations en offrant une histoire intemporelle et forte qui nourrit l’imaginaire tout en montrant à quel point les rêves et notre façon d’y croire peuvent avoir un impact. On en ressort nourri à notre tour, ayant envie de découvrir « notre » endroit secret et notre dénicheur, même sans maladie… C’est la force des auteurs qui savent si bien jouer avec l’imaginaire!

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