Nous ne sommes plus à l’époque — heureusement — où la littérature jeunesse était prise de haut, observée avec condescendance. De plus en plus, le monde littéraire s’ouvre à elle et découvre sa richesse et toute l’intelligence de ses auteurs, qui savent écrire pour captiver leurs lecteurs, pour les faire réfléchir, pour accompagner les enfants et les adolescents dans les moments charnières de leur vie, alors qu’ils se définissent et ont besoin de ces histoires pour devenir des adultes allumés, éveillés et empathiques à leur tour. Regard sur trois livres qui savent parler à l’intelligence de leur lecteur.

« D’où vous vient votre inspiration? Comment créez-vous vos personnages? Faites-vous un plan? Comment trouvez-vous le titre? » Ces questions sont incontournables quand les écrivains s’aventurent en classe pour parler de leur œuvre et c’est ce qui a été le déclencheur du dernier livre de François Gravel, Comment je suis devenu cannibale, publié chez Québec Amérique.

Tout commence par un restaurant « où on servait de la graisse sous forme de hot-dogs, de hamburgers ou de poutines » près d’une école et de cette viande blanche vraiment surprenante — absolument succulente — proposée au personnage principal. Mais qu’est-ce donc? Et en fait, qui est ce personnage? Quel est son rôle? Et que fait-il là? Comment je suis devenu cannibale, c’est donc à la fois un récit qui se construit sous les yeux des lecteurs ainsi que l’histoire de sa création. Ça aurait pu être long et ennuyant, trop didactique ou théorique, mais c’est à la fois fascinant, instructif et captivant : un véritable tour de force pour un auteur qui est habitué de faire confiance à ses lecteurs… et à leur capacité de compréhension.

C’est la même chose pour Robert Soulières, l’auteur et éditeur n’ayant pas peur de publier des romans atypiques, ce qui se ressent dans sa production diversifiée dans les genres comme dans les thèmes. Cet automne, à côté d’auteurs jeunesse confirmés, il publie Nathaël Molaison, un auteur qui utilise toute la beauté de la langue et des images dans Des muscles en fer forgé.

Avec ce recueil de poésie, il raconte une histoire d’amour homosexuelle à sens unique, de l’étincelle de son départ jusqu’aux braises qui alimenteront la suite, mais il prend aussi le temps de raconter la différence entre les corps à l’adolescence, les différents angles qui orientent notre perception des autres et la gestion des émotions (puisque même ceux qui semblent de marbre peuvent craquer).

« je n’existe pas dans son ventre
quand lui prend tout le mien
et le porte à bout de bras »

L’auteur a le talent d’utiliser des mots de tous les jours pour faire naître des images vectrices d’émotions, habileté qu’il partage avec Sarah-Maude Beauchesne.

Celle qui s’est fait connaître en jeunesse grâce à la série amorcée par Cœur de slush possède aussi cette capacité de faire naître des émotions et s’adresse à l’intelligence du cœur avec cet Été d’avant, qui donne la parole aux personnages phares de sa série télévisée L’Académie sous forme de journal intime pour Marie, de poèmes et de dessins pour Wendy, de lettres pour Agathe.

On sent encore davantage ici que dans son œuvre précédente, plus basée sur son expérience propre, sa compréhension profonde de ce qu’est être adolescente aujourd’hui. Sarah-Maude Beauchesne n’est jamais condescendante avec ses lectrices, ne tombe pas dans le piège de mettre des mots d’adultes dans les bouches de ses personnages ; elle porte un regard juste et sans jugement sur cette génération qui se remet souvent en question derrière son apparence frondeuse, qui navigue tant bien que mal entre les idéaux et la réalité — « Quand j’étais petite, j’entendais les gens dire que ça nous tombait dessus, que quelqu’un quelque part nous attendait, que le destin allait faire en sorte qu’on se croise vite, qu’on s’aime sans se poser de questions et qu’on se regarde dans le blanc des yeux jusqu’à notre dernier jour sur la planète Terre. Très simple, pas du tout stressant comme plan romantique » — et pour qui les amis sont la famille, envers et contre tous. Ce livre aurait pu être vu comme un coup de marketing, mais il se tient en lui-même et offre vraiment une expérience riche tant sur le plan de l’histoire que sur celle de la langue. Un incontournable.

Les lecteurs adolescents sont exigeants. Heureusement, il y a des auteurs qui croient en eux et en leur intelligence, leur offrent des textes complexes, lumineux et beaux qui parlent tant à leur tête qu’à leur cœur, qui parlent d’eux, qui trouvent écho dans ce qu’ils sont. Des auteurs comme François Gravel, Nathaël Molaison et Sarah-Maude Beauchesne.

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