Est-ce que les livres ont un sexe? Est-ce que le thème, les personnages, la couverture d’un livre font en sorte qu’il se dirige automatiquement vers un genre cible? Quand la question est posée aux élèves que j’ai le bonheur de croiser dans les salles de classe d’un peu partout, plusieurs nient l’existence d’une barrière, mais d’autres clament haut et fort que, s’il n’y a pas nécessairement de livres « pour garçons », de nombreux ouvrages sont dédiés uniquement aux filles.

« Comme celui-ci? », je leur demande alors, en sortant mon exemplaire de C’est beau, le rouge, paru à La courte échelle ce printemps. La grimace qui se peint sur les visages est absolument hilarante. Quoi, un livre sur les règles? Il faut dire que la culotte qui arbore une tache en forme de cœur sur la couverture de ce roman graphique laisse peu de place au doute. Oui, un livre sur les menstruations, ce genre d’ouvrage qui pourrait donner l’impression qu’il ne s’adresse en effet qu’à celles qui devront gérer cette réalité. Mais si c’était plutôt l’occasion de se questionner sur ce qui fait que le seul mot « menstruations » suscite de la gêne, peu importe son sexe?

Comment se passent les premières menstruations? Que ressent-on? Qu’est-ce que le syndrome prémenstruel? Comment se fait-il qu’on en parle si peu? Comment était-ce avant? Et maintenant, ailleurs dans le monde? Est-ce qu’il y a une « normalité » quand il est question de menstruations?

De la première fois (qui est parfois fort surprenante) à ce qu’on ressent dans notre corps et dans notre tête avant, pendant et après, Lucia Zamolo couvre un large spectre tout en ciblant le cœur du sujet et en évitant les détails, mettant l’accent sur les raisons qui font qu’on est gênés de parler de ce sujet. Cette lecture, qui prend la forme d’un carnet rempli de mots écrits à la main et de dessins, n’est pas un « guide » à destination des jeunes filles, mais un livre riche en informations qui amène son lecteur à découvrir des aspects peu abordés (attendez de voir la pluie composée de teintes de rouge). On finit donc ainsi le livre en ayant cette conviction profonde qu’il faut en parler plus. En parler plus pour que ce soit normal, qu’on n’en ait plus honte, pour que les gouvernements prennent des actions, pour qu’on puisse en tirer le meilleur.

Le petit illustré de l’intimité est un autre livre fort utile pour ouvrir les horizons de ses lecteurs. Fruit d’une collaboration entre Tiphaine Dieumegard, sage-femme, et Mathilde Baudy, professeure d’arts appliqués, cet ouvrage qui a été publié grâce à un financement participatif parle du sexe féminin dans son entièreté, à hauteur d’enfant et dans une langue accessible. Engagé et inclusif, abordant la diversité tant dans les textes que dans les illustrations, tant dans les corps présentés que dans les sexes féminins couvrant les pages de garde.

Conseillé par ses créatrices pour les 8-9 ans, mais accessible plus tôt et toujours pertinent plus tard, cet ouvrage offre une base éclairante pour expliquer l’anatomie du sexe et son fonctionnement, mais aussi parler de sujets intimes qui peuvent susciter la curiosité chez les jeunes enfants, consentement inclus. C’est concis, mais clair et cela peut servir de base à la discussion. D’ailleurs, ce premier tome a eu un tel succès qu’un deuxième a été financé, portant cette fois sur le sexe masculin.

Missouri 1627 est aussi un livre qui pourrait en effrayer certains. Un roman pour adolescents dont le cœur du récit est l’avortement, ce n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus attirant pour tous. Et pourtant, cet ouvrage rédigé à quatre mains par Jennifer Hendricks et Ted Caplan manie psychologie, sensibilisation, imbroglios et humour pour offrir une aventure haute en couleur qui peut intéresser un très large public.

Veronica a la quasi-certitude qu’elle sera major de sa promo. L’adolescente a été acceptée à Brown, est entourée d’une bande d’amies populaires, est aimée par ses parents super catholiques ainsi que par son petit copain, un des types les plus en vue du lycée. Mais cette vie idyllique éclate quand une deuxième ligne rose apparaît sur le test de grossesse. Quand elle découvre que Kevin, ledit amoureux, a « provoqué » cette situation. Quand elle comprend que la plus proche clinique qui peut l’aider à avorter légalement, sans devoir demander l’accord de ses parents, se trouve à 1 600 kilomètres de chez elle. Quand elle réalise que la seule qui peut l’aider à faire ça dans le secret le plus total, c’est Bailey Butler, « alias la gothique du lycée Jefferson : un condensé de colère et de noirceur ».

Dès les premières pages, dès le test de grossesse positif et la rencontre entre les univers de Veronica et de Bailey, il y a un je-ne-sais-quoi qui intrigue. Puis, ça part en vrille quand la première découvre que sa grossesse a été provoquée intentionnellement (ne jamais sous-estimer la capacité des petits trous dans les condoms) par son copain et ça ne se calme pas avant la fin, le road trip étant ponctué d’anecdotes savoureuses, de joutes verbales, de rencontres improbables et de fuites, l’ex manipulateur les poursuivant sans arrêt. C’est à la fois drôle, sensible, léger, profond, fascinant, et on termine la lecture en se rendant compte qu’on a réfléchi à l’avortement et à ses conséquences, oui, mais aussi à notre volonté de maintenir les apparences, à ce qui fait la vraie amitié et à ses priorités.

Alors, est-ce qu’un livre a un sexe? Peut-être que certains thèmes peuvent nous faire croire que oui, mais quand les ouvrages sont bien rédigés, qu’ils sont accrocheurs et pertinents, je sais d’expérience qu’ils peuvent rejoindre un public très large, peu importe le genre auquel on s’identifie. Après tout, ce monde se nourrit de sa diversité et c’est en développant notre empathie pour l’autre qu’on peut mieux vivre ensemble!

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