La question de la diversité en culture a été sur toutes les lèvres dans les derniers mois. De nombreux éditeurs se sont d’ailleurs rencontrés afin de voir comment ils pouvaient s’assurer d’éditer des ouvrages mettant en scène davantage de personnages de la diversité sans que cette différence ne soit le sujet du récit et comment ils pouvaient s’assurer de publier des auteurs et des illustrateurs d’origines diversifiées. Cet automne, quelques textes mettent toutefois déjà la diversité de l’avant.

C’est le cas du délicieux album Albertine Petit-Brindamour déteste les choux de Bruxelles à paraître à La courte échelle et portant sur un des aliments malaimés des enfants (et des grands!). Si l’Albertine imaginée par Anne Renaud et illustrée par Élodie Duhameau est noire, c’est ici de son amour des listes qu’on parle, qu’il soit question de ses mots favoris, de ses aliments préférés ou des superpouvoirs qu’elle rêve d’avoir, et de sa haine des choux de Bruxelles! On assiste donc tout au long du récit au combat de la mère pour que sa dynamique petite fille accepte d’en manger, avec des arguments pour le moins inventifs, jusqu’à trouver l’argument parfait : et si ces choux donnaient des superpouvoirs? Ouh là là… Albertine ne peut passer à côté de cette chance! C’est ainsi qu’elle se mettra à la recherche d’une recette idéale (les muffins!) pour les déguster et tentera l’expérience. Alors que le récit dynamique et joueur est agrémenté des joutes verbales mère-fille (« ils sont verts comme des émeraudes », dit la mère; « verts comme des crottes de nez d’ogre », rétorque Albertine), les illustrations sont succulentes, tant grâce aux mimiques de notre jeune héroïne et de la gymnastique de sa mère qu’aux choux de Bruxelles eux-mêmes, devenus de petits bonhommes sous les crayons d’Élodie Duhameau. Et si le superpouvoir qu’ils finissent par réellement donner à notre héroïne ne plaira pas au nez de tous, les petits malins pourraient bien craquer!

Chez Scholastic aussi la diversité est à l’honneur avec la série de Tom Percival tournant autour des émotions et de l’amitié. Après Les soucis de Cali et La colère de Ravi, l’auteur anglais présente Les amis de Meesha, mettant en scène une petite fille ne parvenant pas à nouer des relations avec les enfants qui l’entourent. Ce qui fait sa différence n’est pas la couleur de sa peau (d’ailleurs, les amis qui peuplent les pages de ce récit ont tous des origines diverses et l’un d’eux se déplace en fauteuil roulant), mais sa difficulté à être avec les autres, à savoir « quoi faire, quoi dire ou quand le dire ». Alors, quand sa mère organise un anniversaire, Meesha a peur. Tout est trop imprévu et bruyant. Heureusement, il y a Jonas, qui s’intéresse à ce qu’elle fait et se montre aussi bricoleur qu’elle. Si l’adulte peut reconnaître des caractéristiques d’un trouble du spectre de l’autisme dans le comportement de Meesha, pour le jeune lecteur, c’est juste une enfant différente comme on en connaît tous et en qui plusieurs pourraient s’identifier, le tout dans un magnifique album dans lequel le rouge et le bleu côtoient le noir et blanc pour faire naître la magie visuelle.

De la diversité, il y en a aussi dans le nouveau leporello — fabuleux format — Dans ma ruelle il y a… (Les 400 coups), imaginé par Mélanie Perreault et illustré par Julien Castanié. En déroulant cet album plié, l’œil s’attarde aux mille et un détails de la ruelle, alors que la narration présente les personnages très diversifiés qui la peuplent. Que ce soit au retour de l’école, de jour, ou lors d’une fête pour les petits et les grands, de soir, on découvre les caractères de chacun à travers une ribambelle de moments croqués sur le vif dans lesquels se glisse la poésie de la vie, qu’il soit question de « nourrir le monstre à pois aux pattes de bois » ou de tracer à la craie « des bonhommes allergiques à la pluie », les uns se mélangeant aux autres pour créer une mosaïque remplie de vie.

Bien qu’elle y soit moins « visible » puisque les illustrations y sont moins fréquentes, la diversité se glisse de plus en plus dans les récits pour adolescents. Par exemple, le personnage principal du merveilleux roman fantastique Magic Charly (Gallimard Jeunesse), Charly lui-même, est noir. Et ce n’est pas du tout un enjeu dans l’histoire — on découvre ce détail assez tard dans le livre, quand une description nous permet de connaître la couleur de sa peau —, mais il n’est pas question de racisme, l’autrice Audrey Alwett ayant sciemment voulu que ce trait soit une caractéristique normale ne définissant pas son personnage. Pour sa part, Alex Gino a travaillé à l’inverse. Dans un petit texte à la fin de son roman Tu crois tout savoir, Jilly P.! (L’école des loisirs), il indique avoir voulu écrire une fiction pour que ses lecteurs blancs se remettent en question et ouvrent leurs horizons. Ainsi, sa Jilly se met les pieds dans les plats avec un garçon noir et sourd avec lequel elle s’entend bien sur un forum quand sa petite sœur vient au monde avec un problème auditif, mais elle va aussi — et surtout — faire face au racisme ordinaire dans sa famille, quand son oncle et sa grand-mère, chacun à un degré différent, créent des malaises en lien avec le fait que sa tante préférée soit noire. Jilly est d’abord choquée par ce qui se passe, puis sa tante lui explique ce qui la dérange, elle, comment la demande de sa grand-mère de lui faire une tarte à la patate douce, « plat typique des Afro-Américains », est raciste. Jilly remet alors en question son silence, son rôle de témoin et son devoir de prendre la parole pour que les autres réalisent ce qu’il se passe. Son courage surprend, inspire. Et c’est ce qui reste, même après la lecture de ce roman : cette nécessité de réagir quand on entend des commentaires déplacés, d’être un allié, mais surtout d’apprendre comment le faire pour ne pas se mettre les pieds dans les plats.

Encore une fois, la littérature jeunesse joue donc son rôle, s’ouvrant à la diversité afin que les petits lecteurs puissent y reconnaître le monde qui les entoure, mais aussi les faisant réfléchir : à leur univers, à ce qu’ils sont, aux manières de changer les choses, une page à la fois.

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