Quand les enfants donnent des leçons

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À ce qu’on dit, on a souvent besoin d’un plus petit que soi. Avec leur admirable innocence et leur imagination féconde, les enfants ont beaucoup à nous apprendre, nous les adultes qui croyons tout savoir, nous les adultes qui nous fions trop fréquemment à notre raison, nous les adultes qui souhaitons tout contrôler. Alors que ce sont généralement les adultes qui enseignent aux enfants, voici deux histoires dans lesquelles les rôles sont (heureusement) inversés.

Enseigner la rêverie
Enfant, avez-vous déjà éprouvé un certain bonheur à vous retrouver seul dans les toilettes de l’école alors que tous les autres élèves étaient en classe? Pour ma part, ce moment passé en solitaire dans cet espace habituellement abondamment occupé lors de la récréation était synonyme de liberté. Dans le silence de la pièce, je rêvassais tout en ayant l’impression de voler du temps à l’enseignement avec un grand E. André Marois, qui nous a offert le succulent Voleur de sandwich (La Pastèque), exploite avec brio ce thème dans l’album tout aussi délicieux, Aux toilettes. Ainsi, par un beau lundi matin, Julie demande à son enseignant Francis si elle peut aller à la salle de bain. Elle en revient en riant aux larmes. Lorsque Francis s’informe si elle va bien, elle répond qu’elle a vu un très vieux film avec Louis de Funès. Puis, c’est au tour Thomas de vouloir aller aux toilettes. À son retour en classe, il a des miettes de frites sur lui. Anne-Charlotte insiste pour aller aux toilettes à son tour et revient avec de nouveaux vêtements. Les uns après les autres, tous les élèves de la classe se rendent aux toilettes et en reviennent transformés, au grand désarroi de Francis qui ne comprend rien. Lorsque la cloche de la récréation sonne enfin, l’enseignant court aux toilettes. Il doit en avoir le cœur net. Assis dans un cabinet, il attend. Mais rien ne se passe. Puis il ferme les yeux, une toute petite seconde. Et là, la magie opère! Pour illustrer ce texte qui nous replonge directement dans les odeurs de l’école, l’éditeur a choisi le talentueux Pierre Pratt. Ses couleurs grasses et ses lignes dynamiques se marient à merveille à cette histoire un peu folle où la rêverie est à l’honneur. Gageons qu’après avoir lu cet album, les enfants seront nombreux à vouloir aller faire un petit tour aux toilettes…

Enseigner le réconfort
L’auteure Lou Beauchesne a également mis en scène des enfants qui apprennent un petit quelque chose aux adultes dans l’album La guerre des suces. Dans cette histoire, une petite princesse a constamment une suce à la bouche, au grand dam de son père le roi qui affirme qu’elle n’est plus un bébé, que les suces déforment les dents et qu’il ne comprend rien quand elle parle avec une tétine dans la bouche. Le jour où il glisse sur une suce et qu’une vilaine bosse apparaît sur son nez, le roi se met en colère et s’emporte : « Ça suffit, j’en ai assez! s’écrie-t-il. À partir de maintenant, les suces sont interdites au château et dans tout le royaume! » Alors que les soldats font le tour des maisons pour confisquer toutes les suces, la femme de ménage passe au peigne fin le château. Mais elle prend soin de conserver une suce qu’elle remet à la petite princesse. Après avoir passé la nuit à pleurer et à crier, les enfants se révoltent et sortent dans la rue. Armés de toutous, doudous, hochets, casseroles et biberons, ils envahissent le château et y sèment la pagaille. À bout de nerfs et découragé, le roi se laisse tomber sur son trône et se met à pleurer. Pour lui clouer le bec, la petite princesse lui met la seule suce disponible de tout le royaume dans la bouche et lui dit : « Parfois une suce, ça fait du bien, papa. » Pour donner vie au texte fort rigolo de l’auteure, l’illustratrice Caroline Hamel a situé l’histoire en plein hiver. Je ne sais si c’était intentionnel, mais j’y ai vu un joli clin d’œil au célèbre film La guerre des tuques. Les personnages dessinés par l’artiste sont sympathiques et attachants, et la joie règne lorsque les enfants envahissent le château; il faut les voir briser des vases, se balancer sur les chandeliers suspendus et se battre avec des coussins. Une belle leçon de lâcher-prise!

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Le livre, mon ami
Je suis une amoureuse des livres pour enfants et si vous lisez cette chronique, c’est sans doute parce que vous éprouvez le même sentiment que moi devant les ouvrages destinés aux petits. Nous le savons, le livre est en péril, du moins son industrie. Pourquoi mentionnai-je ce fait? Parce que l’album La jaquette m’a interpellée. Bouquin est un livre qui a tout pour être heureux. Il est solide, bien fait, il raconte une belle histoire et il contient de jolies images. Assis sur une tablette dans une librairie, à côté de livres qui ont reçu une étoile ou qui ont été classés no 1, il attend qu’un enfant le découvre et entre dans son monde. Il rêve d’être aimé et choyé. Voilà où s’arrête mon parallèle avec la situation actuelle du livre. Pour en revenir à La jaquette, un jour, une jeune fille choisit enfin Bouquin, mais il doit rivaliser avec le chien Pouding, que la fillette aime autant que Bouquin. Mais quand Pouding éclabousse de boue le beau Bouquin, la fillette se fâche et gronde son animal de compagnie. Le lendemain matin, elle crée une jolie jaquette pour recouvrir Bouquin. « Un cadeau spécial pour un ami très spécial! » Alors voilà, moi j’ai plein d’amis aussi précieux que Bouquin et je compte bien continuer à vous les présenter!

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