J’ai un nouvel album favori pour parler de l’importance des histoires dans l’apprentissage de la lecture. Paru en 2018, En fait, je n’aime plus les livres de Daisy Hirst explique parfaitement le moment de flottement par lequel passent les enfants, entre les histoires fascinantes qu’ils se font raconter par leurs parents et plusieurs récits de premières lectures qui sont davantage descriptifs.

L’héroïne de cette histoire est bien découragée quand vient le temps de lire elle-même les livres proposés par son enseignante. Des histoires qui se résument à « le chat est assis sur le tapis » ne suscitent pas un enthousiasme débordant chez elle ou chez son petit frère, qui aimerait bien qu’elle lui lise des récits d’aventures, plutôt.

Il faut dire que les auteurs de romans de premières lectures ont une tâche ardue. Les contraintes de vocabulaire complexifient grandement la création d’histoires qui sont, dès lors, souvent moins captivantes. Et les adultes l’oublient parfois, mais l’apprentissage de la lecture est difficile cognitivement! Il faut mobiliser de nombreux mécanismes pour arriver à déchiffrer les mots et à créer du sens ; la motivation suscitée par le texte est donc importante. Heureusement, certaines collections de premières lectures sont vraiment intéressantes (coucou « Histoires de lire » chez Fonfon, entre autres). Mais aussi, et surtout, les enfants peuvent lire autre chose. Comme des albums avec peu de textes qui sont pourtant porteurs de sens et proposent des histoires qui donnent envie d’être lues et relues.

C’est le cas de l’album Le trésor de Valérie Fontaine, paru aux éditions Québec Amérique, qui met en scène une petite fille à l’imagination impressionnante. « J’ai trouvé un trésor! Un vrai, qui brille, qui étincelle », déclare-t-elle d’entrée de jeu alors que le lecteur peut la voir fouiller dans une boîte turquoise. Si on ne lit que le texte, nous avons l’impression d’être face à une aventurière téméraire, prête à affronter les dangers et à parcourir le monde pour dégotter des magots extraordinaires, un thème qui parlera aux enfants à l’âme d’explorateurs. Et pourtant, l’image raconte autre chose. Et s’il ne fallait pas faire confiance au personnage principal de ce livre? Et si le « trésor » trouvé était en fait volé? Avec ce récit, Valérie Fontaine signe à la fois une histoire qui amuse et fait réfléchir, notamment grâce à ce double sens révélé par les illustrations colorées et animées créées par Annie Rodrigue. « Vaut-il mieux avoir des objets ou des amis? » est-il écrit sur la quatrième de couverture. Une excellente question à se poser!

Aux 400 coups aussi, on s’amuse beaucoup avec l’album Mon chien-banane signé Roxane Brouillard et Giulia Sagramola. Cette fois, pas de narrateur externe pour nous raconter l’histoire, mais une suite de répliques. « Qu’est-ce que tu fais? » demande un garçon à la casquette bleue en voyant le personnage principal. « Je promène mon chien », lui explique ce dernier. Le souci, c’est que ce qui se trouve au bout de la laisse est en fait une banane. Pourtant, le héros a réponse à toutes les interrogations. Il ne bouge pas? C’est qu’il est très fatigué. Il est jaune? Il est d’une race très rare. Il ne jappe pas? Mais non, il est sage comme une image. Alors que s’attroupent les passants autour du petit garçon, le lecteur se questionne forcément : joue-t-il ou croit-il vraiment que sa banane est un chien? Giulia Sagramola a bien su rendre l’aspect très sérieux du garçon, bien sûr de lui, et le scepticisme, voire les rires, de ceux qui l’entourent. Une petite fille arrive même avec une poire qu’elle tente de faire passer pour un chat, la goutte qui fait déborder le vase. Décidément incompris, le personnage principal choisit dès lors de repartir avec sa banane… qui pourrait bien être réellement un chien, finalement.

Rire et surprise sont aussi au menu d’une nouvelle série à « gros caractères » qui paraît à la Bagnole, le type de romans qu’on peut suggérer aux jeunes lecteurs qui gagnent en fluidité et peuvent lire des textes plus longs. Audrée Archambault signe en effet une histoire captivante avec CSI ruelle, un récit qui allie mystère, enquête et amitié. Clémentine, Stella et Indiana sont meilleures amies depuis toujours, ayant grandi dans la même ruelle. Elles ont aussi décidé de créer un club « ultra-top-secret » pour veiller sur leur ruelle et leurs voisins. C’est ainsi qu’elles ont retrouvé le chien-saucisse de madame Lopez, effacé des graffiti sur le mur du dépanneur et rescapé trois chatons. Mais cette fois, l’heure est grave : quelqu’un a subtilisé tous les légumes du potager communautaire des habitants de la ruelle. Et si les adultes choisissent simplement de tout replanter, du haut de leur cabane dans l’arbre de Stella, les trois filles sont décidées à retrouver le ou la coupable et se préparent pour leur mission « Tomates cerises ». Et heureusement qu’elles peuvent compter sur les inventions du père de Clémentine parce que leur principale suspecte, la vieille sorcière, est particulièrement terrifiante.

Autrice végane sensible à la cause des animaux et de l’environnement, Audrée Archambault a distillé ses convictions au fil de l’intrigue sans jamais l’alourdir. C’est en effet le mystère et les indices qui mènent à sa résolution qui sont en avant-scène, alors que les péripéties s’enchaînent jusqu’à la finale, assez surprenante!

C’est peut-être la clé de l’intérêt, justement. Des livres qui surprennent, qui titillent l’imaginaire, qui font réfléchir, qui font rire, qui contiennent une histoire, et non pas seulement une description. Le genre de récit qu’on a envie de raconter, et de se faire raconter aussi!

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