Si les premiers livres pour enfants, souvent en tissus ou en une matière plastique résistante, semblent parfois ne viser que le divertissement, déjà ils permettent à leurs petits lecteurs en devenir d’appréhender le monde qui les entoure. Imagiers, livres à sons, livres à rabats, à textures… autant d’outils qui les ouvrent sur le monde et développent des habiletés qui leur serviront ensuite, comme la discrimination visuelle, la discrimination auditive ou encore la motricité fine.

C’est le cas de Maurice la saucisse est en formes, le petit dernier de Pomerlo, qui permet aux tout-petits de travailler le contrôle de leurs doigts tout en cultivant leur gentillesse à travers un tout-carton coloré et amusant.

Mettant en scène Maurice le chien-saucisse, il propose au lecteur de flatter le héros au fil des pages, alors que celui-ci se contorsionne dans les différentes images pour prendre la forme d’un carré, d’un rectangle, d’un triangle… L’enfant est ainsi invité à suivre la forme du chien à de multiples reprises chaque fois, imprimant à son doigt le mouvement des formes tout en découvrant son nouvel ami dans des environnements connus : l’épicerie, l’aquarium, le potager… autant de lieux qui font référence à son quotidien et ses possibilités.

La nouvelle collection de documentaires chez Québec Amérique a aussi cette volonté de faire progresser les enfants dans leur compréhension du monde. Cet hiver paraissent ainsi quatre livres portant sur la pauvreté, les tragédies, les préjugés et Internet, des thèmes qui sont traités à partir des questions des enfants.

« Qu’est-ce qui cause les tragédies et les catastrophes? Pourquoi une personne s’en prendrait-elle à une autre simplement parce que celle-ci est différente? Y a-t-il des enfants itinérants? Comment un internaute peut-il franchir une limite s’il ne se trouve même pas près de moi? »

Enseignante et pédopsychologue, l’autrice, la docteur Jillian Roberts, a voulu ainsi outiller à la fois les enfants et leurs parents pour aborder des sujets nécessaires, soit parce qu’ils font partie de la société dans laquelle ils évoluent, soit parce qu’ils représentent des dangers potentiels quand on ne sait pas s’en méfier. Accessible, le vocabulaire choisi permet de rendre concrètes différentes facettes de chaque thème et ouvre la réflexion du lecteur.

Parfois, toutefois, la façon la plus efficace de faire comprendre, de faire ressentir une réalité, de donner des pistes et d’ouvrir la discussion, c’est par la fiction. Par une histoire à laquelle le lecteur peut s’identifier et dans laquelle il trouve des repères auxquels s’accrocher dans les moments difficiles.

Chez les petits, Martine Arpin fait ses premiers pas en littérature jeunesse par la grande porte avec l’album Thomas, un livre précieux pour ceux qui traversent l’épreuve d’une perte, mais aussi pour parler tout simplement de la peine, de notre façon de l’affronter, de la force et de la richesse des souvenirs.

La mère de Thomas n’est plus et sa mort a creusé un trou noir dans le cœur de l’enfant.

Sa mère aurait su comment remplir le vide, sans doute, mais comme elle n’est plus là, Thomas cherche un autre adulte qui saura comment faire. Mais qui peut l’aider? Et si la réponse venait des photos de sa mère, étalées autour de la tristesse de son père?

La première impression, c’est la grande douceur qui émane du texte, et qui est amplifiée par la rondeur des illustrations se déclinant dans des teintes chaudes, par le blanc coquille d’œuf des pages, ce qui crée un cocon de lecture bien nécessaire. Parce qu’il y a d’abord la perte, immense, puis la quête qui amène Thomas à interroger les adultes de son entourage, mais la vague de l’émotion vient vraiment juste après, quand Thomas comprend que, pour remplir le trou qui s’est creusé dans son cœur, il peut y glisser « de petits morceaux de [s]a maman ».

Martine Arpin propose alors un florilège de souvenirs, de petits moments qui ont tant d’importance pour Thomas, et les fait ressentir à ses lecteurs avec des mots qui font référence aux différents sens. C’est une lecture douce, touchante, remplie de poésie, un de ces albums qui font pleurer à la fois pour leur beauté et pour ce qu’ils peuvent éveiller chez les lecteurs.

Chez les plus vieux, Sandrine Beau, qui nous avait offert La porte de la salle de bain, continue de faire œuvre utile avec un nouveau livre percutant, cette fois abordant le thème difficile, mais nécessaire de l’agression sexuelle chez les garçons, sous forme de pédophilie, d’inceste, d’agressions, d’abus de pouvoir. Cette fois, c’est dans un court roman choral qui évoque plus qu’il explicite, et qui en dit assez pour que le message soit clair et touche le cœur de la cible.

Au fil des quatre récits des protagonistes, entrelacés, l’autrice montre clairement l’engrenage dans lequel tombe chacune des victimes, l’emprise des prédateurs, l’aveuglement des proches. Cette impression de ne pas pouvoir parler, cette peur qui amplifie encore plus la souffrance. Le personnage de Lenny est particulièrement troublant, mais tous nous touchent, nous bouleversent : Lenny et sa volonté de mort, Biscotte qui refuse de se nommer, son prénom ayant été entaché, Saphir qui voit tout à coup sa passion, ce pour quoi il est si doué, devenir l’enfer… C’est rageant de voir comment il est difficile de s’en sortir. Trop souvent, les victimes ne sont pas crues, les agresseurs étant si séducteurs, si à l’abri du doute. Heureusement, Sandrine Beau parle de la loi, des recours. Et le personnage d’Esteban, devenu adulte, vient montrer le chemin aux autres pour offrir une finale qui offre, elle aussi, de l’espoir.

Nous sommes accompagnés par les livres au fil de notre vie. Ces derniers, peu importe notre âge, nous permettent d’apprivoiser notre réalité, de l’explorer et de mieux la comprendre, d’y être sensibles et de mieux percevoir les signes de difficulté chez les autres. De cultiver notre empathie. Bref, de devenir de meilleures personnes.

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