Scène de bibliothèque scolaire. Dernière pause de la journée, je reprends mon souffle entre deux animations tandis qu’un petit attroupement se forme autour d’un adolescent au fond de la pièce. Il lit, mais il a aussi étalé devant lui plusieurs feuilles et ses doigts manipulent des dés. Un sourire se dessine sur mon visage alors que la prof qui m’accompagne hausse un sourcil. Elle n’a visiblement pas le bagage de celles et ceux qui reconnaissent les dés vingt et les jeux de rôles.

Je m’approche et j’ai le plaisir de constater que notre lecteur est lancé dans une des aventures classiques de Gallimard, une de leurs dernières rééditions, avec explications au départ et création de personnages. Parce que dans ces récits, il ne suffit pas de lire l’histoire et de choisir une action lorsque proposé. On crée un personnage (et on lui distribue des points selon différentes caractéristiques qui auront une incidence sur le déroulement de l’histoire), puis on fait face à divers problèmes pour lesquels il faut lancer les dés pour déterminer nos chances de survie. Je me suis d’ailleurs replongée dernièrement dans L’épreuve des champions, paru pour la première fois en 1986 et réédité l’an passé. Dans une ambiance de gladiateurs plutôt réussie, j’ai dû affronter des épreuves cruelles tout au long du scénario qui semble simple au premier abord, mais recèle de nombreuses surprises.

Côté surprises, la nouvelle collection « Dédale » des éditions Héritage jeunesse n’est pas en reste. L’éditeur Thomas Campbell a voulu changer les principes de base de ce type de roman et, si le lecteur rencontre des options assez classiques tout au long de son parcours, devant sélectionner un des deux choix qui s’offrent généralement à lui, les premiers sont cruciaux. En effet, dans Dangereuses missions, alors que le personnage principal (par ailleurs non genré, ce qui est bien pensé) reçoit un message mystérieux de son paternel, lui enjoignant d’aller récupérer une boîte dans une pièce à laquelle iel n’a généralement pas accès, un étrange bruit se fait entendre dans le couloir. Et la réaction sera déterminante, puisque cette première intersection dans l’histoire permet de la faire basculer dans trois univers littéraires distincts : suspense plus réaliste, presque policier, fantastique ou encore science-fiction.

Les livres dont vous êtes le héros peuvent parfois être frustrants quand on sent qu’il y a un « bon » chemin à suivre, que l’auteur cherche à amener ses lecteurs vers une finale prédéterminée et que les possibilités parallèles en cours de route ne mènent qu’à des avenues rapidement bloquées. Ce n’est pas le cas ici, alors que Kurt Martin offre plutôt trois histoires complètes à partir du même départ et que, par ailleurs, il n’y a pas de cul-de-sac, chaque décision étant rattachée au tronc principal de son univers.

Il y aura donc toujours cette balade en voiture forcée, alors que tu te rends compte que ton père trempe dans une sombre histoire, mais que ceux qui se disent ses alliés te mentent peut-être, ces lampadaires qui prennent vie et t’attaquent dans une réalité devenue folle ou encore cette scène où la gravité disparaît et où l’univers s’ouvre à toi.

On a parfois l’impression que ces livres visent davantage les adolescents, mais les plus jeunes ne sont pas en reste. Chez FouLire, Jocelyn Boisvert s’est lancé depuis 2017 dans un marathon littéraire avec « Les héros de ma classe », collection qui met en scène tous (et je dis bien tous) les élèves de Madame Anne. À tour de rôle, chacun est le héros ou l’héroïne d’une histoire où se côtoient l’action et l’humour. Le vingt et unième tome sort d’ailleurs ce printemps, alors que le lecteur peut aider Damien, l’éternel joueur de tours, à mettre au point ses idées pour le 1er avril en choisissant d’être sage… ou pas!

Si elle ne se lance pas dans un tel défi, Marianne Dubuc a tout de même eu envie d’explorer l’univers des choix multiples avec son petit dernier, Nina et Milo : Journée de pêche, qui porte quant à lui la mention de « livre-jeu ». C’est le premier de ce qui pourrait bien être une série mettant en vedette un duo de personnages attachants et passionnés d’extérieur. Pendant que Milo profite gaiement d’une journée au lac avec Nina, il est emporté dans les airs par un coup de vent. Commence ainsi toute une aventure pour son amie, qui tente de lui porter secours en suivant les choix faits par le lecteur. Si on retrouve les habituels personnages animaliers de la créatrice et la douceur des illustrations, on est aussi ici dans une histoire qui s’éloigne des récits plus profonds qu’elle raconte souvent, alors que l’aventure est plus rocambolesque. Nina s’enfonce dans la forêt en suivant (ou pas) la piste proposée par des oiseaux, en échappant à une ourse et son savon et en réussissant à calmer un dragon, tout ça avec son nouvel ami, Arthur le papillon… et sans oublier Milo, qu’il faut toujours sauver!

C’est au cœur de la pandémie, alors qu’elle avait du mal à trouver l’inspiration, que Marianne Dubuc a eu envie de créer cette histoire, qui se distingue aussi par ses illustrations, réalisées dans un format « mini » à l’encre et à l’aquarelle. « Un livre-jeu, c’est plus compliqué dans la logique que dans l’écriture. Ce projet léger m’a fait beaucoup de bien. »

Se faire du bien dans la légèreté, c’est peut-être aussi une des plus grandes qualités de ces livres qu’on explore en tout ou en partie au fil de nos choix. Ici, même si le récit fait plus de 300 pages, on ne lit pas tout, on progresse à notre rythme, on se crée notre aventure et on décide, en cas d’échec ou arrivé à la fin d’une possibilité, si on a envie de recommencer… ou pas. Une lecture proactive, souvent remplie d’actions, qui peut aussi nous permettre de nous offrir une bulle de légèreté dans des périodes plus difficiles, tant pour les créateurs que pour les lecteurs.

Photo : © Philippe Piraux

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