« Qu’est-ce que ça raconte? »
C’est la phrase préférée des lecteurs qui bouquinent, peu importe leur âge. Attirés par la couverture, ils retournent le livre, jettent un coup d’œil au résumé, mais si celui-ci est un tant soit peu complexe ou encore pas assez descriptif et qu’ils ont la chance d’avoir sous la main un lecteur qui a déjà tourné ces pages, la question surgit : « Qu’est-ce que ça raconte? »

Parfois, la réponse est facile à donner. L’histoire se déroule selon un schéma prédéterminé, avec un début, un élément déclencheur, un milieu, une fin (qu’il faut savoir garder secrète pour ne pas briser la magie), et il est aisé de la partager. Mais d’autres fois, les histoires sont si éclatées, ou si peu ancrées dans une réalité qu’on connaît, qu’il devient complexe, voire impossible, de les résumer. C’est le cas des deux pépites dont je vous parle aujourd’hui, deux histoires qui n’ont pas grand-chose en commun, si ce n’est cette impossibilité de vous les résumer tout simplement.

Pour les plus jeunes, il y a d’abord Pipo, un roman de la touche-à-tout Amélie Dumoulin, illustré par Todd Stewart. Dans son cas, même l’auteure a jeté l’éponge quand est venu le temps d’écrire sa quatrième de couverture :

« Pour résumer Pipo, il faudrait que je vous parle d’une indomptable fille rousse, de son rat obèse qui s’appelle Sportif, d’un énigmatique père-espion, d’une artiste étrange qui possède une piscine à fric et une robe-maison. Il faudrait que ce soit très drôle, mais qu’il y ait aussi de la musique triste. Du piano. Qui fait penser à la pluie. Je ne sais toujours pas comment on met de la musique dans les livres, j’essaie tout le temps, mais ça marche moyen… Ouais, bon, vaudrait peut-être mieux vous raconter toute l’histoire? »

Il est vrai que raconter ce livre à la couverture rigide et aux différentes parties collées les unes aux autres, à l’aspect vieillot que ne démentent pas les illustrations de Todd Stewart, est difficile. Il faut d’abord parler de Pipo, cette héroïne hors norme qui a été déposée chez une vieille dame sénile par un père mythomane et qui doit se cacher des employés de SP (service aux personnes) qui viennent porter de la nourriture à son hôtesse pour éviter d’être envoyée dans un orphelinat. Heureusement, si son environnement physique est un peu limité, Hélène habitant dans une petite maison sise dans l’espèce de no man’s land entourant une raffinerie de pétrole, Pipo, 11 ans, a de l’imagination à revendre et ne s’ennuie jamais. Ou presque. L’arrivée des jumeaux Suzanne et Lou vient chambouler son quotidien et ouvrir ses horizons. Dès lors, Pipo entre dans le monde réel, ce qui la fascine en même temps que la terrifie. « Être avec les autres, c’est très compliqué. […] Ne pas trembler, ne pas péter, garder le sourire (woho, pas trop, quand même!), la tête droite, la tête froide, écouter, hocher, acquiescer, répondre, nourrir la conversation, ne pas rire en cochon, éteindre les feux du cœur lorsqu’il s’emballe… »

Avec la naïveté de son isolement et toute la force de son imaginaire, elle entre dans « le monde réel » avec la fougue d’une Fifi Brindacier et son parcours devient encore plus intéressant à suivre. En effet, à travers la quête de Pipo pour retrouver son père, Amélie Dumoulin parle de l’abandon des personnes âgées, de ces adultes qui courent après des chimères en laissant des enfants derrière, de famille et de solitude. Et si c’est parfois complètement tiré par les cheveux, c’est le genre de livre qui commande de ne pas se poser de question et de se laisser porter par les mots et les rebondissements, même si ceux-ci jouent avec les codes du réel.

François Place joue aussi avec ces codes dans La reine sous la neige, un roman kaléidoscope dans lequel les histoires comme les personnages s’entrecroisent à grande vitesse.

Il y a Sam, dont l’avion a été détourné en Angleterre à cause d’une tempête de neige, qui cherche ses repères dans une ville qu’elle ne connaît pas. Il y a donc la neige, qui recouvre tout, puis un vol de téléphone, un coup de foudre, une vieille amie qui refuse d’ouvrir sa porte, la mort de la reine, un jeune garçon perdu, un tigre évadé. Et tous ces êtres essaient d’avancer malgré cette impression que « l’Angleterre marche sur la tête ».

C’est la timide Sam qui se trouve au centre de l’étoile formée par les nombreux personnages de ce roman foisonnant qui joue aussi avec les codes de l’anticipation avec la mort d’Elizabeth II et flirte avec le fantastique. Attachante même si un peu distante au départ (« T’es trop bizarre, comme fille. Du genre à planer sans prendre de substance. Des fois, faut atterrir »), elle sert de fil conducteur dans ce récit qui ratisse large.

On peut peut-être reprocher à François Place de ne pas aller assez à fond dans ses histoires, certaines réalités des personnages n’étant au final qu’effleurées alors qu’elles sont prometteuses (toute la réalité de la mère de Khan, entre autres, ou encore le monde fascinant entourant la pratique du Kalarippayatt, un art martial indien), mais il nous offre tout de même un véritable bouquet de thématiques : le deuil, l’amour, l’amitié, l’enquête sur le cambriolage d’un appartement, la relation parent-enfant, la quête des petits boulots, la difficulté de s’intégrer dans un nouveau pays, la dimension culturelle… le tout dans une histoire qui dépayse et captive… même si elle est difficile, voire impossible à résumer clairement.

Heureusement, s’ils aiment bien les résumés plus simples qui leur permettent de sélectionner des titres qui leur conviennent, les lecteurs savent aussi bien que lire, c’est accepter que les mots sur papier prennent vie, forment un film, plus ou moins réel, une histoire qui nous emporte peu à peu. Et que parfois, il ne faut pas demander notre destination trop vite, juste profiter du parcours.

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