Les séries foisonnent en littérature jeunesse au bonheur de leurs lecteurs qui peuvent développer une véritable relation avec leurs personnages, se plonger à de multiples reprises dans l’univers présenté, retrouver leurs marques dans un récit même après quelques mois, quelques années. Le plaisir des livres uniques est parfois aussi grand puisqu’on peut y savourer l’entièreté d’une histoire et qu’on évite la frustration d’une fin incomplète, qui nous laisse sur le bout de notre chaise. Pourtant, il y a de ces livres qu’on referme avec l’envie de pouvoir poursuivre notre aventure.

C’est ce qui s’est produit en 2016 avec les Chroniques post-apocalyptiques d’une enfant sage, un court roman poétique d’Annie Bacon qui racontait avec une douceur peu commune la fin du monde… et la survie d’une jeune fille passionnée de lecture. À l’époque, je n’ai pas été la seule à réclamer une suite, une prolongation de ce récit dont l’unique bémol était sa brièveté. Pourtant, son autrice était inflexible.

« Il faut savoir que j’ai écrit le premier alors que je vivais une période émotivement sombre, marquée par la mort de mes parents. Je n’avais pas envie de me replonger dans cet état d’esprit. Je refusais même d’y penser », explique-t-elle. Mais, surprise, cet hiver paraît Chroniques post-apocalyptiques d’une jeune entêtée, où on retrouve Astride et sa bibliothèque, mais où on fait aussi la connaissance de Kiara, beaucoup plus dans l’action puisqu’elle traverse les Laurentides à vélo pour espérer rejoindre ses parents dans leur appartement du Plateau-Mont-Royal. C’est en fait l’arrivée d’un producteur, qui a souhaité en faire une websérie, qui a poussé Annie Bacon à créer cette suite.

« Lors des discussions, il a indiqué qu’il devrait prouver qu’il est capable de faire une deuxième saison, et qu’il faudrait donc écrire un paragraphe racontant la suite. Le désir de voir Astride à l’écran a eu raison de mes réticences. Pour la première fois, je me suis assise à mon ordinateur dans le but de continuer l’histoire. Je n’ai écrit qu’un vague paragraphe… qui a déclenché un déferlement d’idées! Kiara s’est mise à me hanter. Des phrases entières me venaient à l’esprit. Je crois qu’il ne me manquait qu’une petite poussée. »

Si l’autrice avait peur de décevoir ses lecteurs, elle a rapidement pu être rassurée par les premiers retours sur cette suite tout à fait à la hauteur du premier livre, peut-être même encore plus savoureuse parce qu’on a une double narration qui dynamise l’ensemble et permet d’obtenir deux visions du « nouveau » réel. Si elle fait référence à l’effervescence, à la violence et aux abus que l’on retrouve habituellement dans ce type de récit post-apocalyptique, Annie Bacon fait de nouveau le choix de la douceur. Avec Astrid, toujours, antihéroïne parfaite, organisée, qui a décidé de trouver le moyen de survivre seule et qui, ô joie, s’installe parmi les livres pour y arriver, mais aussi avec Kiara, qui, bien que plus dans l’action, semble posséder une grande force intérieure et un calme certain.

Le royaume de Lénacie, pour sa part, est une série dont le cinquième et dernier tome est paru en 2012, à la grande tristesse de ses fans. Toutefois, Priska Poirier savait qu’elle voudrait un jour retrouver cet univers bien particulier qu’elle avait inventé et peaufiné avec soin. À l’époque, elle considérait néanmoins qu’elle « avait besoin de vieillir un peu, de gagner en expérience et en nouvelles idées novatrices ». Neuf ans plus tard, c’est chose faite et l’autrice revient avec une écriture qui a évolué, mais qui garde la même vitalité, la même créativité, en ramenant son héroïne Marguerite au royaume de Lénacie, mais mettant aussi cette fois la lumière sur ses deux filles, Delphine et Océanne, qui découvrent leur nature de sirmaine et vivent leur premier été sous l’eau. Priska Poirier dit qu’elle a appris à couper les longues descriptions pour rester davantage dans l’action et à nuancer la psychologie de ses personnages, ce qu’on ressent en effet dans cette intrigue qui se bâtit autour de trois histoires parallèles et permet aux trois héroïnes d’évoluer chacune à leur façon.

Un troisième retour a eu lieu cet hiver en littérature jeunesse, qui n’est pas celui de personnages ou d’univers uniques, mais bien d’une voix qui a fait une pause pendant vingt ans.

Après avoir publié plusieurs livres à destination d’un jeune public, Agathe Génois a été trop prise par la vie et a délaissé l’écriture pendant une longue période. Toutefois, après quelques détours, elle est maintenant persuadée que sa mission est d’écrire et n’a plus l’intention d’en déroger.

Ainsi est publié chez Soulières éditeur Une fugue en soi, un « roman d’aventure intérieure », comme elle le décrit si bien, le récit de Patrice, un garçon différent qui voit la réalité comme « Le monde à l’envers » et ne s’épanouit que dans l’univers qu’il crée avec ses crayons. On le rencontre à une étape charnière de sa vie, alors qu’il cherche comment il peut être celui qu’il est vraiment. Finement écrit, ce récit psychologique qui se termine sur une touche d’espoir se distingue aussi par la douceur qui en émane.

Cette douceur est d’ailleurs sans doute le fil rouge qui relie ces trois autrices. Chacune dans un genre différent, que ce soit la science-fiction, le fantastique ou le roman miroir, leur bienveillance transcende les pages et le cours de leurs histoires, faisant du bien à ceux qui les lisent. À notre plus grand bonheur, nous pourrons d’ailleurs les retrouver encore puisque, si Annie Bacon a des plans pour un troisième tome tout en cherchant la petite étincelle qui déclenchera l’écriture, elle a aussi d’autres parutions à venir (dont une suite fabuleuse à sa sorcière Pétronille). Quant à elles, Priska Poirier prévoit déjà deux autres tomes d’ici un an et Agathe Génois a de multiples histoires en tête. Vivement la suite!

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