Qu’est-ce qui se cache derrière la fenêtre de vos voisins? Derrière les vitres aux formes étranges que vous croisez sur votre chemin au fil des jours? Et si les décors qui s’y dissimulaient étaient plus surprenants que ce que vous aviez pu imaginer?

Voici ce à quoi nous invite, et d’une main de maître, Marion Arbona dans son nouvel album, paru aux 400 coups, À travers les fenêtres. Dans un grand format agréable qui permet de donner de l’ampleur à chacune des pages, elle convie ses lecteurs à la suivre dans son imaginaire, à la rencontre de ces décors absolument fantastiques que croise une petite fille sur son chemin et qui laissent libre cours à une douce folie.

Chaque page s’ouvre sur un univers qui regorge de détails et les illustrations en noir et blanc, en lien avec les phrases, courtes et parfois perchées, accompagnent chacun des mondes. On s’émerveille, on rit, on s’enthousiasme tout au long de cet album, l’œil tantôt surpris par un crapaud caché dans les feuillages, attiré par le jeu des textures, amusé par l’expression d’un personnage ou d’un masque, titillé par la lecture d’un tatouage… autant d’éléments qui trouveront écho à la fin, dans la dernière pièce représentée. C’est une œuvre riche en liens et en intertextualité, réalisée par une autrice-illustratrice au sommet de son art.

« Au sommet de son art », c’est aussi ce qu’on pourrait dire de Taï-Marc Le Thanh après avoir refermé la dernière page de Et le ciel se voila de fureur, une véritable pépite parue à L’école des loisirs ce printemps. L’auteur français est reconnu pour le souffle de ses aventures et la construction fine de ses personnages (ainsi que pour ses talents artistiques, pour ceux qui le suivent sur les réseaux sociaux), mais il nous prouve qu’il est vraiment un créateur important en littérature jeunesse avec un roman qui joue avec les codes du Far West pour livrer une histoire touchante et enlevante.

1865. Hidalgo se promène dans le Far West accompagné de ses cinq filles et de son garçon, aveugle, tous adoptés. D’un côté, il est ce mentor aimant, rigoureux, moderne, qui inculque les bonnes valeurs à son clan et le prépare à se défendre face à un monde qui ne fait pas de quartier. De l’autre, il est connu comme l’Ange de la Mort, tueur impitoyable qui a laissé des paysages désertiques et sanglants derrière lui. Et quand son ennemi de toujours retrouve sa trace, il se pourrait bien que le voile qui sépare les deux univers soit déchiré et l’équilibre, perdu à jamais.

La force vive de ce roman, c’est l’équilibre, alors qu’on navigue entre un récit psychologique suivant l’évolution d’une fratrie atypique, presque un anachronisme pour l’époque tant les caractères des filles sont affirmés, et un roman d’action où s’enchaînent des scènes que Tarantino aurait un plaisir fou à mettre en images. Le début est particulier, alors qu’une journaliste rencontre une vieille dame qui veut lui raconter son histoire. Puis on bascule dans le Far West, à la rencontre de ces personnages qui sont tout de suite attachants, Hidalgo en tête, mystérieux, droit, bienveillant, mais l’action n’est jamais loin, après tout on est dans un contexte difficile, un climat rude, un monde qui se construit dans la violence. Et quand celle-ci frappera avec toute sa fureur en cours de récit, elle fera naître en chacun des enfants (devenus adolescents) une rage dévorante qui les mènera à une vengeance… sanglante, et pourtant, jamais dénuée de douceur dans les relations entre les personnages.

Cette dualité entre la dureté d’un monde et la fragilité intérieure est aussi ce qui ressort du dernier roman d’Annie Bacon.

L’autrice a en effet pris ses fidèles lecteurs par surprise en annonçant qu’elle écrivait une suite au livre Chroniques post-apocalyptiques d’une enfant sage tant plébiscité, tant par le public que par les critiques. Le deuxième tome a été à la hauteur des attentes et l’autrice montréalaise clôture l’aventure ce printemps avec un troisième tome qui révèle toute la force de cet univers, mais aussi tout le talent de sa créatrice.

Il faut dire qu’elle a osé sortir de ses habitudes avec ce récit, mettant en scène un personnage principal plus âgé, adolescent, à la limite de la délinquance au départ, qui montre des dehors rugueux, met de l’avant ses aspérités, mais se révèle aussi d’une grande sensibilité.

Chroniques post-apocalyptiques d’un garçon perdu, c’est donc l’histoire de Hatim, qui était loin sous terre lorsque l’explosion a eu lieu. Occupé à faire la fête avec sa gang, loin des siens et surtout loin de son petit frère. Depuis, il essaie d’oublier, se perdant dans les délires de domination du monde de son groupe. Mais quand une silhouette apparaît près du skatepark et ramène avec elle le fantôme de son petit frère, Hatim comprend qu’il ne peut pas juste fuir. S’il veut survivre dans ce monde vidé de ses habitants, il doit trouver sa propre voie.

Ce troisième tome possède toutes les qualités des premiers, avec une vision particulièrement originale d’un monde post-apocalyptique, une douceur dans la construction du récit, une poésie certaine dans la structure de la narration et de multiples références à des livres. On y retrouve aussi les personnages rencontrés dans les premiers tomes et on les voit continuer à évoluer.

Hatim se démarque toutefois. L’adolescent, qu’on a d’ailleurs déjà croisé précédemment de façon discrète, est une parfaite représentation de ces grands ados qui se cherchent une place, qui se laissent entraîner par les autres, qui tentent de s’étourdir, mais qui sont foncièrement sensibles. À ses côtés, on suit les dérives d’un groupe qui voit en la fin du monde la possibilité de profiter de tout. Comme cette réalité vide d’humains et de lois est toutefois permanente, il faut s’y trouver une vraie place si on veut arriver à y vivre et c’est le fantôme du frère d’Hatim qui l’amène à essayer autre chose. En effet, c’est en se rappelant leurs lectures du soir, leurs moments précieux à eux deux qu’il trouve le courage de suivre sa petite voix intérieure, ce qui lui permet de croiser le chemin des autres. Une histoire magistrale, écrite par une autrice en pleine maîtrise de ses habiletés. Chapeau!

Photo : © Philippe Piraux

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