Qu’est-ce que le temps? On peut parler de temps objectif avec le nombre de pages lues en une minute, en dix minutes, en une heure, mais aussi de temps subjectif, qui se plie ou s’étire, le temps qui disparaît quand je suis plongée dans une histoire qui me captive et dont je ressors forcément en retard, mais heureuse, ou encore celui qui ne passe jamais assez rapidement quand j’attends qu’un prochain tome arrive sur les tablettes de la librairie… alors que le précédent vient de paraître.

À La Pastèque, cette question de temps est observée à hauteur d’enfant dans un livre atypique sur la question : Le temps est une fleur.

Le temps est-il une ligne droite ou un cercle? Rigide ou fluide? Le tic-tac régulier de l’horloge ou bien l’arbre qui grandit, tout comme toi, d’année en année? Au fil des pages et des illustrations sensibles et colorées de Julie Morstad, c’est presque à une méditation que le lecteur est convié, comme si le simple fait de tourner les pages accompagnait son propre questionnement sur le rapport au temps. Et on en vient à s’interroger soi-même. Est-ce que je tourne les pages au même rythme? Quel détail des délicates images a fait que mon œil a cessé de progresser? En effet, le temps peut aussi être une toile d’araignée dans laquelle on s’englue sans s’en rendre compte. Où sont passées les minutes pendant que j’étais absorbée dans cet ouvrage qui, comme souvent à La Pastèque, allie un graphisme travaillé pour le plaisir des yeux et un texte sobre, mais évocateur et ne donne pas de réponse, mais ouvre la discussion? Le temps fuit…

Inspiré d’un conte africain, le récit philosophique Pourquoi le ciel est si haut? n’est pas non plus de ceux qui offrent des réponses claires même si on pourrait en avoir l’impression avec cette douce histoire qui explique pourquoi le ciel ne se trouve plus à portée de main des humains et pourquoi ceux-ci doivent « planter, cultiver, récolter, chasser et pêcher » pour se nourrir.

En effet, si l’histoire offre une réponse, avec ces humains aux yeux plus gros que le ventre qui se sont fait aviser une première fois par la Nature qu’il fallait prendre soin de l’environnement, mais qui ont oublié, le lecteur sait tout de suite qu’on est dans une dimension métaphorique. Que le récit proposé par Dalila Assefsaf et illustré tout en couleurs, en éclats et en abondance par Yves Dumont pointe quelques faits bien réels, comme le besoin impérieux de prendre soin de l’environnement et la tendance tout humaine à vouloir trop et à oublier les avertissements pourtant clairs, mais est surtout une histoire pour nous faire réfléchir. Pas aux solutions pour travailler moins, bien entendu, mais à la richesse et à la diversité de ce qui nous entoure sur terre, à notre relation avec ceux qui cohabitent avec nous et qui méritent qu’on prenne soin d’eux et de nous. À ce qui se passe maintenant, à nos gestes du quotidien et à ce qui pourrait encore se passer ensuite, si on ne prend pas les signes au sérieux…

La réflexion est aussi au cœur d’un autre récit inclassable, cette fois signé par Jennifer Tremblay chez Soulières éditeur : Le train de trois heures. Ce sur quoi l’autrice propose à ses lecteurs et lectrices de s’interroger n’est toutefois pas un thème extérieur, mais bien l’écriture elle-même.

Ces livres qu’on dévore sans voir le temps passer, ces histoires qui nous proposent des fables pour expliquer le monde, comment ont-elles été écrites? Pourquoi?

Les ateliers d’écriture amènent de plus en plus d’enfants à prendre une posture d’auteur et autrice dans les classes. Sur les réseaux sociaux, TikTok et Instagram en tête, les auteurs et autrices sont nombreux à partager leur processus d’écriture. Par exemple, Emilie Ouellette s’ouvre sur ses difficultés en cours d’écriture alors qu’Isabelle Roy partage des vidéos plus humoristiques sur ses processus et ses idées, Mathieu Fortin raconte ses histoires… En réalité, cette pluralité d’offres fait en sorte que ceux et celles qui s’intéressent à l’écriture peuvent désormais de plus en plus bénéficier d’un accès sur ce qui se passe « derrière » les pages. Que les enfants sont nombreux à porter un regard différent sur les livres qui leur tombent entre les mains et à se questionner sur ce qui fait un roman.

Prenant ses lecteurs et lectrices par la main dès les premiers mots — « Tu as ouvert ce livre » —, l’autrice chevronnée se questionne d’abord sur la posture de lecteur, déjà difficile puisqu’il faut de la volonté pour s’extraire du monde toujours prêt à nous interrompre pour plonger dans un récit, puis plonge dans le concept même de l’écriture.

Comment démarrer l’histoire? Que faire en cas de panne d’inspiration? Comment construire un récit de façon à capter l’attention de son lectorat? Quel style adopter? Jennifer Tremblay répond à toutes ces questions en construisant en parallèle son récit à propos d’une plume, d’un train et de souris… le tout égayé par des petits trucs pour s’inspirer, un aparté dans l’univers d’un conte classique, la découverte de la « clé à molette d’une histoire réussie », soit le schéma narratif, et une recette de spaghetti… sans oublier le style littéraire, « la musique qu’on crée en assemblant des mots ».

C’est le genre de lecture surprenante qui peut laisser sceptique au départ, alors que le ton plus adulte peut sembler plus éloigné, mais qui nous embarque dans un voyage qui file et défile alors que le temps, lui, devient une notion abstraite.

Photo : © Philippe Piraux

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