New York, New York !

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Il y a presque deux ans, les yeux de la planète étaient fixés sur New York qui, en une matinée qu'on ne pourra jamais oublier, fut blessée au cœur. Autrefois, avec la Statue de la Liberté qui saluait les immigrants à la ligne d'horizon, la cosmopolite métropole constituait le prélude au rêve américain. Certes, il y a plusieurs vers dans la Grosse Pomme, on le sait. Et pourtant, on la chante, on la photographie, on l'écrit. Woody Allen, par exemple, y situe presque l'intégralité de son œuvre , tant cinématographique que littéraire. Petit à petit, la ville s'est fait mythe. Ce printemps, Siri Hustvedt, Laura Jacobs et Ethan Hawke (oui, l'acteur), trois écrivains aux talents et visées romanesques fort différents, ont choisi d'y camper leurs récits. Regards croisés sur une poétique du désespoir urbain, trouée de quelques éclaircies passagères.

Romance new-yorkaise

New York est reconnue pour son intense bouillonnement artistique. On songe à la Factory de Warhol, aux galeries des quartiers de SoHo et de TriBeca. Longtemps restée dans l’ombre de Paul Auster, son mari et représentant littéraire new-yorkais de longue date, Siri Hustvedt a choisi de camper son dernier roman, Tout ce que j’aimais, dans cette ville d’idées et de passions. Elle y explore de brillante façon à la fois l’intimité de l’humain et son lien avec le monde de l’art, et ce, sur une période couvrant presque trente ans. Bien qu’il puisse s’avérer difficile d’embrasser la richesse de ce livre, on peut hasarder le résumé suivant : Léo, un critique d’art, aime Erica, une universitaire ferrée dans le domaine littéraire. Ensemble, ils ont eu un enfant prénommé Matt. Lorsque Léo rencontre Bill, un artiste prometteur qui se nourrit de son vécu pour exorciser inlassablement ses démons intérieurs, le destin de tous les personnages va basculer. Père de Mark, un enfant silencieux à l’opposé de Matt, il va quitter Lucille, sa femme, pour se lancer tête baissée dans une histoire d’amour avec Violet, son modèle. J’arrête ici cette esquisse d’une infime partie de Tout ce que j’aimais : à vous de découvrir le reste !

Car il faut lire Tout ce que j’aimais, impérativement. Pour peu que l’on soit intéressé par les thèmes de l’art, de la rupture et des mécanismes parfois ésotériques de la passion, il faut fouiller un à un ces tiroirs que Hustvedt a ouverts pour nous. L’écrivaine fait écho aux sculptures de Bill, en forme de caisses, et qui contiennent toutes un segment de l’histoire. Quelques exemples : les conséquences de l’éclatement d’une bulle de silence au nez du couple Léo-Jessica au lendemain de la mort de Matt, le récit des cas d’hystérie au XIXe siècle, la relation Bill-Violet ou la descente aux enfers de Mark, qui a grandi dans le secret et en paye le prix une fois adulte. Dans ce roman, les destins s’entrelacent en un élégant ballet, dont Hustvedt bat presque parfaitement la mesure. L’auteure de L’Envoûtement de Lily Dahl aurait pu filer ainsi sur plus de 800 pages ; elle s’est contentée de 454, ce qui n’est pas si mal non plus. Le texte lui-même, et c’est là peut-être le seul défaut du roman de Hustvedt, semble sur le point d’exploser tellement il se révèle dense. Par exemple, l’on rencontre peu d’occasions de « respirer » entre deux paragraphes ; il faut attendre la page 173 avant de voir surgir un inespéré chapitre. Tout ce que j’aimais est donc une oeuvre chargée à bloc sous des devants tendres-amers à laquelle il serait dommage de ne pas céder. Suffit de prendre le temps.

Le blues citadin au féminin

J’aurais bien aimé traiter avec autant d’enthousiasme des pérégrinations pseudo-yuppie à l’ère du « post-post féminisme nouvelle formule améliorée à saveur de nouveau millénaire » des deux protagonistes de New-Yorkaises, de Laura Jacobs. Malheureusement, le récit en parallèle des petites et des grosses angoisses d’Iris, une spécialiste de l’abat-jour vieillot à l’aube de la quarantaine, et de Lana Burton, une journaliste trentenaire, affiche dès les premières pages un éventuel essoufflement. Malgré une facilité manifeste à camper les décors entourant les protagonistes, quelques descriptions fort réussies de New York et des vicissitudes vécues par les femmes professionnelles, Jacobs n’arrive jamais vraiment à se sortir d’une narration barbante. Les rayons des librairies débordent de récits de ce genre, écrits dans le but de séduire un lectorat féminin aux prises avec les mêmes petites craintes de « l’homo-modernus », alors pourquoi s’attarder à celui-ci ? Jacobs peut sans problèmes retourner à ses écrits dans Vanity Fair, et nous épargner ses ennuyants portraits.

Sex in The City

Acteur craquant avec sa moue tristounette et ses yeux bleus enjôleurs, l’acteur Ethan Hawke s’est lancé dans l’aventure romanesque avec The Hottest Taste, traduit par le très prude intitulé Manhattan Story. Ce n’est pas la ville qui est le véritable sujet de ce roman ; le titre réfère plutôt au Texas natal du personnage principal, William, et, par extension, au feu qui le consume lorsqu’il rencontre Sarah, avec qui il vivra une romance à New York, puis à Paris. Rien de bien intéressant ne distingue ce couple dans la marée humaine new-yorkaise. Ces amoureux sont-ils destinés l’un à l’autre ? Les coïncidences pleuvent, en tout cas. William et Sarah n’ont rien des amants de Vérone, et pourtant, Hawke parvient à broder autour du couple moderne une élégante rhétorique, quoique sans grande originalité. La passion, esquissée ici avec une plume qui collectionne les lieux communs, n’est pas pour autant dénuée de charme ; elle y brille comme un phare pointé vers un îlot d’espoir. Il fait bon lire, de temps en temps, de ces bluettes postmodernes, ne serait-ce que pour s’offrir une romance dont l’action, non campée dans un manoir et ne mettant pas en scène un riche bellâtre, se révèle plus près de notre réalité que les « harlequinades » à la Barbara Cartland. Et puis New York et Paris forment de sacrés décors pour une romance, aussi désastreuse soit-elle, au bout du compte. Mais ne vous en faites pas : Hawke, l’auteur, nous dévoile l’échec de la relation dès les premières pages ! Peut-être est-ce en raison du métier de « Monsieur Uma Thurman », qui rend un meilleur service au cinéma qu’il ne peut le faire pour les belles-lettres américaines, mais Manhattan Story tient plus du script élégant que du roman. On peut, malheureusement, supposer qu’une telle aventure tiendrait mieux l’affiche au grand écran qu’en librairie.

En guise de conclusion, à défaut d’avoir craqué pour tous les titres de cette chronique, j’inviterais plutôt les lecteurs intéressés par ce sujet à jeter un œil à Constat d’accident et autres textes de Paul Auster, paru récemment chez Actes Sud/Leméac. L’auteur de Moon Palace y réserve quelques-uns de ses plus vibrants mots pour illustrer son attachement à sa ville fétiche, et plus particulièrement dans la tourmente qui a suivi l’effondrement du World Trade Center. Sur une note plus légère, je lève aussi mon chapeau à Jonathan Lethem et son désopilant roman Les Orphelins de Brooklyn, un savant mélange de polar à la Chandler mâtiné d’humour absurde. Les esprits plus rigoureux trouveront sans doute matière à réfléchir sur la spiritualité avec Cité de dieu, de E.L. Doctorow, un autre amant de la Grosse Pomme.

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