Chut…! Puisqu’il n’est pas dans l’actualité, le blanc-bec, because la pandémie (j’écris ceci en avril), je m’attarde au triste sire Houellebecq, ce type qui se gausse, en grimaçant, d’être réac, raëlien, désagréable, et qui réussit fort bien dans ce rôle de composition, le beauf des lettres françaises, un infréquentable dont on s’arrache les livres.

Une biographie non autorisée m’incite à frôler l’individu; avec un lot de renseignements et de révélations, on y fait le compte des postures et impostures de ce Michel Thomas, qui a fait l’Agro (l’Institut national d’agronomie) et, pris en grippe par les agriculteurs, se contenta de ramasser des vers blancs, puis qui a lâché les travaux des champs pour devenir en ville (au Palais Bourbon, du temps de Chirac) un informaticien flemmard qui finalement arrivera tard à la littérature pour en tirer fracas et fric, et vice versa.

Chut…! Profitons de ce confinement général, du silence béni qu’offre l’absence de battage médiatique accompagnant un nouveau titre de l’énergumène (le scandale, son pot-au-feu quadriennal) pour y voir clair dans cette affaire d’édition et de ventes en librairie colossales où la littérature sert de prétexte à un spectacle qui tient tout autant du freak show que du show-business, et vice versa.

Denis Demonpion, biographe à l’œil fin et à la patience infinie, avait publié en 2005 chez l’éditeur Maren Sell la première bio de l’auteur des Particules élémentaires, le titre était Houellebecq non autorisé : Enquête sur un phénomène. Sollicité par Demonpion, Houellebecq avait accepté de ne le rencontrer qu’à la condition de pouvoir lire le manuscrit, l’amender et, le cas échéant, bloquer sa parution. Le biographe, préférant sa liberté, a écrit, après enquête approfondie, ce qu’il savait des petits et grands arrangements avec l’existence et l’état civil que ce Houellebecq en pleine gloire avait pris pour se peindre une image grise et victimaire, la cigarette entre le majeur et l’annulaire, le tout ajusté au ton glauque et décadent des trois romans alors parus (d’Extension du domaine de la lutte à Plateforme).

Ce premier travail professionnel sans complaisance n’a pas fait le bruit qu’il méritait car, érigé par la presse en héraut fin de siècle des lettres, le Houellebecq en menait large, alors, c’était l’époque où tout le monde le lisait, à la plage, dans les aérogares, à la terrasse des hôtels, on portait cette déglingue occidentale à la boutonnière et Renaud se moquait de cette mode d’arsouille dans sa chanson « Les bobos » quand il disait de ceux-ci : « ils lisent Houellebecq ». Il y avait quelque chose dans ce succès phénoménal d’un scandale sociétal et excitant, un peu comme celui de la petite Sagan qui dans les années 50 avait osé secouer la morale des familles avec un jeu d’adultère estival… bonjour la tristesse d’une jeune fille en fleur.

Avec Houellebecq, bonjour tristesse itou, mais l’adultère allait devenir pornographique ou rien, le romanesque comme la société allaient évacuer l’amour, l’homme allait devenir une bête de sexe ou un tordu du manque de baise, les femmes seraient des « salopes goulues » ou des « oiseaux mazoutés » selon leur âge, bref, à son magasin de variétés dites littéraires et très caricaturales, il vendrait de la « nymphette arabe » dans les dernières soldes de l’Occident où le seul espoir qu’on pouvait mettre en vitrine était la possibilité d’une île, autrement dit celle du sinistre Claude Vorilhon, ce Raël qui dans le réel est son vieux pote, c’lui qui devait nous cloner un monde nouveau où le bonheur enfin redescendrait sur terre, cette terre où l’apprenti agronome, détesté des paysans, suait jadis à ramasser des vers blancs…

Michel Thomas, né à La Réunion en 1956 et non en 1958 comme il le prétend, était un quadra lambda peu tralala quand il décida de piquer à sa grand-mère paternelle (qu’il aimait, elle s’appelait Henriette) le nom de famille de son mari, ce surprenant vocable Houellebecq (belle sonorité bretonne, mais bon…). Sautant à 38 ans dans le roman en 1994, il se disait sans famille, se profilait orphelin, poète, mais fainéant, traîne-misère lecteur de Lautréamont, amateur de camembert coulant à manger avec les mains la tête renversée, taiseux, aimant Neil Young (notre seul point commun) et soudain ambitieux comme pas deux.

Grâce à Demonpion, qui ramène sa biographie de 2005 améliorée en 2019 sous le titre de Houellebecq tout court, on sait que tout ça, c’est friponnerie. Morts dans ses livres et ses interviews, le papa et la maman, mais bien vivants dans la vie — la mère médecin et grande lectrice de Dostoïevski, le père guide de haute montagne et grand amateur de chansons françaises —, alors que le fiston se la joue misérabiliste, l’enfant abandonné, jeté au chemin, le vagabond, pas beau et privé d’un allô maman bobo… Diplômé en agriculture mais fauché comme les blés, c’est papa qui lui acheta un studio à Paris et qui payait les factures. Dès que maman refusa de lui assurer une rente, il coupa les ponts.

Pourquoi ce Houellebecq développe-t-il tant de haine envers la gauche, les gauches, les soixante-huitards qu’il traîne dans la boue à chaque détour de bile? Madame René Thomas (Lucie Ceccaldi) a un passé politique de femme engagée qui a lutté pour l’indépendance de l’Algérie, un passé de femme libérée proche des mouvements féministes, elle a fait Mai 68, elle exerce une médecine des pauvres. Pourquoi le fils a offensé Prévert et Brassens dans des textes vitrioliques, les traitant de cons? Ce sont les idoles de René Thomas. Demonpion a rencontré à plusieurs reprises le père et la mère de Houellebecq, il nous apprend qu’ils ne lui en veulent pas trop, qu’ils reconnaissent la réussite commerciale mais qu’ils n’aiment pas ses livres, et la mère, qui parle avec colère mais sans haine, dit « le p’tit Michel » quand elle évoque l’enfant qu’il a été et « le Houellebecq » quand elle se réfère à l’écrivain.

Dans un livre qu’elle a publié en 2008 aux éditions Scali et qui est passé presque inaperçu, la mère suggérait à son fils d’abjurer publiquement Les particules élémentaires, où elle est dépeinte en putain dégénérée sous son vrai nom de baptême, et elle lui demandait d’écrire : « Je suis un menteur, je suis un imposteur, j’ai été un parasite, je n’ai jamais rien fait de ma vie, que du mal à ceux qui m’ont entouré. Et je demande pardon ».

Thomas l’imposteur…, celui de Cocteau, qui jouait au soldat, feignant d’être mort au moment où il mourait, était autrement charmant.

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