Lord Byron : Un dandy dans l’action

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Poète et aristocrate, pessimiste et richissime, sauvage et esthète, très beau, lord Byron, qui attira sa vie durant toutes les femmes qu’il désirait (et parfois de jeunes garçons), y compris sa demi-sœur avec qui il eut un enfant qu’il réclama ardemment sur son lit de mort, à 36 ans (« Oh! mon enfant; oh! ma chère fille, ma chère Ada! Oh! mon Dieu! Si j’avais pu la voir! » : dernières paroles rapportées par son inséparable valet), avait connu à 20 ans son pire chagrin, son plus triste deuil, celui de Boatswain, son chien, qui mourut en d’atroces souffrances dans la forêt de Sherwood où il avait contracté la rage. Ce jour-là, Byron, qui a toujours senti (et exprimé dans sa poésie) qu’il mourrait jeune, qu’il ne ferait pas de vieux os, émit le souhait d’être enterré aux côtés de Boatswain et il fit aussitôt construire un caveau pour eux deux dans la chapelle de son manoir de Newstead.

Sur une stèle de marbre, il fit inscrire cette épitaphe : « Près de cet endroit reposent les restes d’un être qui posséda la beauté sans la vanité, la force sans l’insolence, le courage sans la férocité, et toutes les vertus de l’homme sans ses vices. Cet éloge, qui serait une absurde flatterie s’il était inscrit au-dessus de cendres humaines, n’est qu’un juste tribut à la mémoire de Boatswain, un chien, né à Terre-Neuve en mai 1803, et mort à Newstead Abbey, le 18 novembre 1808. »

Mort, ce sont les autres qui décident et, ainsi, la dépouille de Byron sera rapatriée dans l’Angleterre qu’il avait fuie pour de bon à 27 ans, qu’il détestait comme Thomas Bernhard exécrera l’Autriche, où on l’inhumera (puisque les autorités de l’abbaye de Westminster n’en voulaient pas) dans le caveau familial de l’église de Hucknall Torkard, aux côtés de ses glorieux ancêtres (qu’à titre de sixième lord Byron il avait envoyé promener en groupe, à commencer par son père John Byron dit Mad Jack, aussi beau que lui mais irascible, insolent, violent, alcoolique, fuyard du foyer conjugal; son père et son contraire qui mourra lui aussi à 36 ans). Hucknall Torkard était proche de son manoir de Newstead où Boatswain resta seul au caveau.

Le plus célèbre poète anglais de son temps, doté d’un grand charme, d’une douceur élégante qui faisait oublier (il s’y appliquait en adaptant sa démarche, glissante et fort lente) ce maudit pied-bot à la jambe droite, seul accroc à sa silhouette de prince (« C’est une figure céleste; il est impossible d’avoir de plus beaux yeux. Ah! le joli homme de génie », écrivit Stendhal dans ses Voyages en Italie, le disgracieux Stendhal qui le rencontra un soir à la Scala de Milan et s’en fit un ami), ce lord de grande lignée détestait les bourgeois et, comme bien des aristocrates de la catégorie dandy (Byron est un dandy sympa, ça existe), il préférait fréquenter le peuple, il raffolait des tavernes, se mêlait aux festivités populaires mais avec, comme ses ancêtres normands, deux pistolets chargés en poche. Ce que détestait Byron en l’homme (par rapport aux bêtes, car il avait aussi dans ses différents palais un loup, deux singes, des perroquets, et des chats, bien sûr), c’était la vanité, la corruption du pouvoir, la malhonnêteté, l’infidélité, la trahison, « ce livre répugnant qu’on appelle l’homme » comme il l’écrit dans Les Deux Foscari, ce drame vénitien de l’exil que Verdi mit en musique vingt ans après sa mort.

Son plus récent biographe, Daniel  Salvatore Schiffer, est l’un des grands spécialistes européens du dandysme (il a signé un Oscar Wilde dans la même collection) et d’évidence, c’est l’aspect qu’il développe dans cet excellent ouvrage sur l’insaisissable poète du Corsaire, de Childe Harold, de Don Juan, et des géniaux Poèmes (on en a une édition bilingue chez Allia, parue en 2011). Il s’agit d’un dandysme (« correctement entendu », écrit-il) qui est constitué d’une égale esthétique de l’âme et du corps. On y cerne bien le héros byronien qu’est Byron lui-même : téméraire et conquérant (à 34 ans, Byron s’engage et engage sa fortune dans la lutte d’indépendance des Grecs qui vivent sous le joug de l’Empire ottoman, il y mourra de la malaria); solitaire et singulier (il n’a jamais poursuivi une liaison au-delà de la séduction); subversif et provocateur (il s’est révolté contre la politique et la société anglaise de son temps); rebelle à tout ordre et insoumis à toute règle (Gabriel Matzneff, qui l’admire le dit, dans La diététique de lord Byron, né pour l’opposition); ténébreux (une grande part de sa poésie en témoigne); bandit dénué de scrupule envers sa caste et grand seigneur à l’égard des petites gens (et des animaux); sauvage par son comportement, sans pour autant être dénué de délicatesse; taciturne et passionné; bref, comme l’écrit Salvatore Schiffer, « un être entouré d’une invariable aura de mystère, quoique éternellement mû par un invincible sens de la fatalité ».

Dans son Journal de Ravenne qu’on trouve chez José Corti (journal circonstanciel, rédigé en un mois et demi l’année 1821 alors qu’il s’engage avec les carbonari qui luttent pour l’indépendance de l’Italie; ses Mémoires sont hélas perdus, brûlés après sa mort par l’une de ses femmes), il se décrit, c’est lui sur lui : « Il n’y a pour lui ni repentir, ni pénitence, ni expiation; ce qui est fait ne peut se défaire; on n’efface pas l’ineffaçable; il ne trouvera la paix que dans le tombeau. C’est le plus souvent un renégat ou un athée; il ne désire pas le Paradis, mais le repos. Pour se distraire de lui-même, il se jette dans l’action, dans la lutte; corsaire ou brigand, il déclare la guerre à la société; il poursuit les émotions violentes. Dût-il y périr, il veut à tout prix échapper à l’ennui de sa vie. »

Cet homme, qui était contre la peine de mort, qui était misogyne mais plaçait l’amitié établie entre un homme et une femme au-dessus de celle engagée entre hommes, qui avait apprivoisé un ours à Trinity College, qui avait un tempérament de droite mais des idées de gauche, qui tombait trop vite amoureux (à l’instar de Chet Baker, autre dandy, qui chantera I Fall in Love Too Fast), cet homme qui négligea sa gloire, qui mourut à 36 ans comme le peintre Raphaël et le poète Maïakovski (et Marilyn et Nelly Arcan, et le Caravage), je l’imagine toujours, quand je pense à lui, filant à cheval sur la plage du Lido à Venise…

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